Une belle discussion de TED (l'équivalent américain de l'Université de tous les savoirs) discutant notre rapport à la rationalité, la manipulation, notre confiance aveugle en nous-mêmes et notre raison.
Au passage, les différences entre le style américain et le style français en ce qui concerne les conférences me frappent. La durée, d'abord : je ne connais aucun auteur Français qui fasse ce genre d'intervention d'un quart d'heure ; l'humour ensuite, tout est toujours si sérieux en France... On pourrait dire un peu vite que nous représentons un style un peu vieillot, poussiéreux, chiant.
Pourtant, je ne suis pas si sûr l'invalidité du modèle français : à voir ces conférences d'outre-atlantique, on pense plusieurs choses : d'abord que ces recherches ont été faites facilement, ces chercheurs parlent avec une telle aisance de leur travail, montrent des images si ludiques qu'on imagine qu'ils ont fait leurs recherches de la même manière qu'ils en parlent : en un quart d'heure. Ensuite, je n'ai rien contre l'humour, mais ici les blagues en pleine conférence (blagues d'ailleurs largement fondées sur des stéréotypes faciles, il y aurait un travail à faire là-dessus) concourent à donner l'idée d'un savoir qui serait drôle, pas seulement plaisant, mais aussi un peu ridicule, un peu risible, un peu lol ; il faut que le savoir, lui aussi soit entertainment. Pas de rigueur, pas de langage savant à la française, juste des mots de tous les jours, et des blagues. D'ailleurs, en se mettant "au niveau" de ses interlocuteurs, l'orateur fait mine d'être comme eux, d'être "un des leurs" ; si cela est, pourquoi sont-ils tous là, assis dans l'ombre, à l'écouter, et pourquoi ne parlent-ils pas à sa place, ou tous en même temps ? La réponse est simple : parce qu'ils ne sont pas tous professeurs au M.I.T. Cette différence évidente n'en devient que plus oppressante en étant cachée derrière ce pseudo-égalitarisme hypocrite finalement fondé sur un argument d'autorité (je parle parce que je suis professeur au M.I.T.) et non pas sur un raisonnement clair et appréhendable par tout le monde comme en France, où l'on conserve un peu un idéal démocratique désespéré. Enfin, cela donne aussi à penser qu'apprendre est une chose facile, qu'on peut apprendre en rigolant, qu'il n'y a pas de savoirs difficiles, que ceux qui pensent et qui disent cela sont des snobs hypocrites protégeant leurs prérogatives de classe. Bref, derrière toute cette méthode - que je ne renie pas absolument, qui ferait beaucoup de bien à de nombreux orateurs Français et qui la sort d'un élitisme certain en diffusant aux classes populaires un savoir important -, il faut bien voir qu'il y a un fond d'anti-intellectualisme, avec tout ce que cela comporte, comme l'avait si bien analysé Barthes à la fin de Mythologies(1).
(1) Voir les deux très beaux articles sur Poujade
Pourtant, je ne suis pas si sûr l'invalidité du modèle français : à voir ces conférences d'outre-atlantique, on pense plusieurs choses : d'abord que ces recherches ont été faites facilement, ces chercheurs parlent avec une telle aisance de leur travail, montrent des images si ludiques qu'on imagine qu'ils ont fait leurs recherches de la même manière qu'ils en parlent : en un quart d'heure. Ensuite, je n'ai rien contre l'humour, mais ici les blagues en pleine conférence (blagues d'ailleurs largement fondées sur des stéréotypes faciles, il y aurait un travail à faire là-dessus) concourent à donner l'idée d'un savoir qui serait drôle, pas seulement plaisant, mais aussi un peu ridicule, un peu risible, un peu lol ; il faut que le savoir, lui aussi soit entertainment. Pas de rigueur, pas de langage savant à la française, juste des mots de tous les jours, et des blagues. D'ailleurs, en se mettant "au niveau" de ses interlocuteurs, l'orateur fait mine d'être comme eux, d'être "un des leurs" ; si cela est, pourquoi sont-ils tous là, assis dans l'ombre, à l'écouter, et pourquoi ne parlent-ils pas à sa place, ou tous en même temps ? La réponse est simple : parce qu'ils ne sont pas tous professeurs au M.I.T. Cette différence évidente n'en devient que plus oppressante en étant cachée derrière ce pseudo-égalitarisme hypocrite finalement fondé sur un argument d'autorité (je parle parce que je suis professeur au M.I.T.) et non pas sur un raisonnement clair et appréhendable par tout le monde comme en France, où l'on conserve un peu un idéal démocratique désespéré. Enfin, cela donne aussi à penser qu'apprendre est une chose facile, qu'on peut apprendre en rigolant, qu'il n'y a pas de savoirs difficiles, que ceux qui pensent et qui disent cela sont des snobs hypocrites protégeant leurs prérogatives de classe. Bref, derrière toute cette méthode - que je ne renie pas absolument, qui ferait beaucoup de bien à de nombreux orateurs Français et qui la sort d'un élitisme certain en diffusant aux classes populaires un savoir important -, il faut bien voir qu'il y a un fond d'anti-intellectualisme, avec tout ce que cela comporte, comme l'avait si bien analysé Barthes à la fin de Mythologies(1).
(1) Voir les deux très beaux articles sur Poujade
je ne reviendrai pas sur l'aisance de l'orateur, qui capte, à forces d'exemples éloquents et de schémas animés, toute notre attention, mais complèterai la réflexion ici entamée sur "l'exercice de style" que constitue une conférence publique : cet homme, bien qu'agréable et plaisant à écouter, ne nous dit qu'une seule et unique chose en un quart d'heure, grosso modo "nous ne sommes pas maîtres de nos décisions". Ainsi sa communication relève plus à mon sens du "one man show" que de la conférence à visée scientifique; car la question se pose : qu'ai-je appris, en fin de compte, au terme de ces 17 minutes ? rien de bien exceptionnel.
RépondreSupprimerFinalement, ce gentil monsieur avec ses justes blagues et ses exemples fleuris, je l'inviterais bien à dîner; mais à un colloque ...