Scène d'ouverture du Procès d'Orson Welles (à partir de 4'13)
A travers la lecture synoptique du Procès de Kafka et son adaptation cinématographique, nous verrons comment Orson Welles, réduisant la portée universelle du livre, appauvrit son sens en axant son travail sur la lutte d'un homme contre un ordre injuste ; et comment il réussit l'exploit, à partir d'un matériau si riche et si complexe, de pondre un pamphlet aussi balourd et inepte.
Le Procès,
c’est l’histoire de la lutte existentielle de l’homme ; c’est la mise à nu
de ses interrogations les plus profondes ; c’est le questionnement
permanent de ce sentiment de culpabilité qui étreint l’âme ; toutes ces interrogations irriguant d’ailleurs toute l’œuvre de Kafka.
C’est ce qu’Orson Welles ne semble pas avoir compris. Que fait-il ? Il fait de Joseph K une victime ; et une victime qui se défend jusqu’au bout, allant même, dans le plan final, jusqu’à défier ses bourreaux.
Ce qu’Orson Welles semble ne pas avoir saisi, c’est que le livre ne montre pas un homme se battant contre une institution, ou un gouvernement, ou une société, qui l’accuseraient injustement, ou le persécuteraient ; ce n’est pas le récit d’un homme qui se bat pour rétablir son honneur.
L’important dans toute l’histoire, c’est que Joseph K intègre sa culpabilité, allant jusqu’à s’offrir à ses bourreaux ; c’est cette acceptation de son sort qui fait tout l’intérêt du récit ; on sait que que Kafka, dans les premières ébauches de son roman, avait imaginé que Joseph K se serait rendu coupable d’un menu larcin ; mais alors, tout le propos en eût été perdu, et, par là même, tout l’intérêt de son ouvrage.
Orson Welles débarque donc avec ses gros sabots pour faire de ce récit poisseux, incertain, subtil, une charge grossière contre on ne sait quoi – les régimes totalitaires, peut-être ? Le film a été tourné en 1962, soit en pleine guerre froide - ; il re-réalise complètement le récit pour en faire une métaphore manichéenne et sans grâce.
La scène d’ouverture est, sur ce point, éloquente. « On avait sûrement calomnié Joseph K., car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin (1) ».
C’est ce qu’Orson Welles ne semble pas avoir compris. Que fait-il ? Il fait de Joseph K une victime ; et une victime qui se défend jusqu’au bout, allant même, dans le plan final, jusqu’à défier ses bourreaux.
Ce qu’Orson Welles semble ne pas avoir saisi, c’est que le livre ne montre pas un homme se battant contre une institution, ou un gouvernement, ou une société, qui l’accuseraient injustement, ou le persécuteraient ; ce n’est pas le récit d’un homme qui se bat pour rétablir son honneur.
L’important dans toute l’histoire, c’est que Joseph K intègre sa culpabilité, allant jusqu’à s’offrir à ses bourreaux ; c’est cette acceptation de son sort qui fait tout l’intérêt du récit ; on sait que que Kafka, dans les premières ébauches de son roman, avait imaginé que Joseph K se serait rendu coupable d’un menu larcin ; mais alors, tout le propos en eût été perdu, et, par là même, tout l’intérêt de son ouvrage.
Orson Welles débarque donc avec ses gros sabots pour faire de ce récit poisseux, incertain, subtil, une charge grossière contre on ne sait quoi – les régimes totalitaires, peut-être ? Le film a été tourné en 1962, soit en pleine guerre froide - ; il re-réalise complètement le récit pour en faire une métaphore manichéenne et sans grâce.
La scène d’ouverture est, sur ce point, éloquente. « On avait sûrement calomnié Joseph K., car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin (1) ».
Orson Welles prend le parti de donner à voir une véritable
scène inquisitoriale : les hommes qui débarquent chez madame Grubach, sa
logeuse, sont des brutes obtuses, hargneuses, imbéciles, qui, voulant dire "vexatoire" disent "offensatoire" (épisode rajouté par le cinéaste) ; Orson Welles, pour que l’on
comprenne bien le caractère sinistre de cette arrestation – qui n’en n’est pas réellement
une puisque Joseph K. restera toujours libre -, rajoute des éléments – par
exemple, ce passage où Joseph K. est obligé de s’expliquer sur la présence de
quatre trous dans le sol, et où ils ergotent sur la possibilité d’inscrire
« ovalaire » sur le rapport -, censés nous faire saisir le caractère
dictatorial, arbitraire, de la procédure. Chaque parole que profère Joseph K. est ainsi susceptible d'être retournée contre lui - ce qui constitue une déformation du sens que Kafka donnait à son livre.
En effet, dans le roman, les choses ne sont
pas si tranchées que ça. Ainsi, les inspecteurs « devenaient presque
tristes chaque fois que K. criait
(2) ». Quand Joseph K. exige son chapeau, les 3 employés de sa banque, présents
lors de cette arrestation, courent « tous l’un après l’autre le chercher,
ce qui témoignait tout de même d’un certain embarras (3) ».
Kafka met l’accent, premièrement, sur le fait que les policiers eux-mêmes ne
savent pas vraiment pourquoi ils sont là ; quant au brigadier, il essaye
de raisonner Joseph K., avec humanité. Le deuxième point important, capital,
sont les réflexions que se fait Joseph K. durant tout l’épisode, les questions
qu’il se pose, pour essayer de s’en sortir, de prendre l’avantage, de comprendre, de se justifier - par rapport aux autres, mais aussi, et surtout, par rapport à lui-même.
Mais peut-être aussi les gardiens lui mettraient-ils la main dessus
s’il essayait [d’aller dans le
vestibule] : alors adieu la supériorité qu’il conservait tout de même sur
eux à certains égards ! Aussi préféra-t-il attendre la solution moins
incertaine que le cours naturel des choses amènerait nécessairement ; il
revint donc dans sa chambre sans ajouter un seul mot. (4)
Ou bien encore :
- Mais, d’autre
part, continua K. en s’adressant à tout le monde – il aurait même beaucoup aimé
que les trois amateurs de photographie se retournassent pour écouter aussi -,
mais d’autre part l’affaire ne saurait avoir non plus beaucoup d’importance. Je
le déduis du fait que je suis accusé sans pouvoir arriver à trouver la moindre
faute qu’on puisse me reprocher. Mais ce n’est encore que secondaire. La
question essentielle est de savoir par qui je suis accusé ? Quelle est
l’autorité qui dirige le procès ? Êtes-vous fonctionnaires ? Nul de
vous ne porte d’uniforme, à moins qu’on ne veuille nommer uniforme ce vêtement
– et il montrait celui de Franz – qui est plutôt un simple costume de voyage.
Voilà les points que je vous demande d’éclaircir ; je suis persuadé qu’au
bout de l’explication nous pourrons prendre l’un de l’autre le plus amical des
congés ».
Le brigadier reposa la boîte d’allumettes sur la table.
« Vous faites erreur, dit-il, une profonde erreur. Ces messieurs que voici et moi, nous ne jouons dans votre affaire qu’un rôle purement accessoire. Nous ne savons même presque rien d’elle. [etc, etc] (5)
Le brigadier reposa la boîte d’allumettes sur la table.
« Vous faites erreur, dit-il, une profonde erreur. Ces messieurs que voici et moi, nous ne jouons dans votre affaire qu’un rôle purement accessoire. Nous ne savons même presque rien d’elle. [etc, etc] (5)
Un dernier exemple :
K. parlait sur un
ton assez hautain, car, bien que sa poignée de main eût été refusée, il se
sentait de plus en plus indépendant de tous ces gens là, surtout depuis que le
brigadier s’était levé. Il jouait avec eux. [C'est nous qui soulignons] Il avait l’intention de les suivre
jusqu’à la porte de la maison s’ils s’en allaient, et de leur offrir de
l’appréhender. (6)
Plusieurs observations s'offrent donc à nous. La plus importante, c'est que la relation n'est pas, dans le livre, à sens unique. C'est à dire que Jospeh K. peut engager le dialogue, que les policiers, s'ils sont certes les instruments aveugles d'un système qui les dépasse et dont ils ne sont que des subordonnés de bas-étage, sont, finalement, aussi perdus que K. En tout état de cause, ils font preuve d'humanité, voire d'empathie, puisque l'un d'eux propose, après avoir mangé le petit déjeuner de Joseph K., de lui "faire apporter un petit déjeuner du café d'en face" (7).
Quant à Joseph K., il se perd en supputations, en réflexions, en questionnements, et ce, tout au long du livre. Celui-ci, finalement, ne cherche pas à mettre à jour un système totalitaire, il ne tente pas d'en démonter les mécanismes ; bien plutôt il nous propose de plonger dans les méandres de l'esprit d'un homme qui, comme tous les hommes, doute, et ne parvient pas à appréhender le monde. Que ce soit dans Le Terrier, dans l'Amérique, ou bien encore dans Le Château, ce sont des thèmes qui reviennent perpétuellement chez Kafka ; Orson Welles, assurément, ne les avait pas lus ; aussi n'a-t-il rien compris ; la deuxième partie de notre propos critique s'attachera à le démontrer.
Globalement on est d'accord, le film est plus pauvre que le livre. La scène d'ouverture par exemple, avec le jeu pénible sur le mot "ovalair" [orthographe américaine incertaine] n'est pas formidable. Cependant, le jugement du film est peut-être un peu sévère - ou sommaire...
RépondreSupprimerIl reste à dire que la traduction de Vialatte n'est pas non plus formidable et que Kafka paraît quand même assez irreprésentable... Le cinéaste fait ce qu'il peut, il faut qu'il montre des corps, une intrigue... On peut quand même se poser la question de l'intérêt - ou plus radicalement de la possibilité - de la représentation plastique d'une telle oeuvre...
sévère, le jugement du film, peut-être ; mais sommaire... il ne s'agit que de la première partie d'une analyse bien plus profonde, avec un peu de chance.
RépondreSupprimerquant à ma sévérité, elle se juge à l'aune de ma déception lors de la vision du film ; et oui, effectivement, tenter de mettre en scène Le Procès relève de la gageure, d'autant plus quand il s'agit d'Orson Welles, certes génial, mais pas forcément subtil ; ou, du moins, dont la mise en scène est souvent lourde, marquée, ce qui ne convient pas à Kafka.
C'est peut-être ça le plus dur avec l'arbitraire policier : non pas sa méchanceté ou sa noirceur, mais son ambivalence. L'impossibilité de lui donner un adjectif propre et, dans l'indicible, la perte des repères, l'écrasement de la personne humaine, l'anéantissement de toute volonté.
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