dimanche 8 janvier 2012

Quand l'humanitaire attère



Sans parler de la médiocre qualité musicale de ce clip, je voudrais aborder l'incroyable mauvais goût dont il fait preuve, tant du point de vue des paroles que de l'image, et plus encore peut-être de la superposition des deux.

Si les véritables problèmes sont légèrement évoqués ("je vous regarde creuser/la terre mais pas des puits"; v.16) et les faux sentiments humanitaires dénoncés ("je ne veux pas l'aumône" v.17 (remarquons cependant que, de manière assez énigmatique, ce vers sur l'aumône est accolé à un second "je veux pas déranger") ; "je vous regarde verser/des larmes qu'on n'a plus ici"), la chanson sombre pourtant paradoxalement dans ce qu'elle semble récuser : la pitié humanitaire malsaine. En effet, les images qui se veulent attendrissantes ("un bout de choux qui sourit", v.2 ; "ce que je voulais c'est jouer", v.9), le vocabulaire faussement affectueux ("bout de choux", v.2), faussement "franc-parler" ("me foutre", v.3, "un môme" v.1) placent dès l'entrée cette chanson du côté de l'hypocrisie, de l'affection populiste et maladroite pour les peuples du quart-monde ; du côté de l'insupportable paternalisme moralisateur.
Les réels problèmes ne sont qu'effleurés comme nous l'avons déjà dit, et les solutions à ces problèmes tout à fait absentes : on ne voit ici qu'évocation d'un rêve impossible sur le mode conditionnel ("j'aurais pu", "je voudrais"...), déploration molle de l'inégalité fondamentale et écœurante ("j'aurais pu être un môme/comme un autre", v.24-26) et exclusion des réactions possibles dans l'ordre du magique, du ridicule, du désespéré : "danser/pour faire tomber la pluie" (v.13-14). On n'aperçoit ici aucune revendication politique, aucune évocation n'est faite de la situation géopolitique responsable en grande partie de cette incurie et seule capable de résoudre ces problèmes à grande échelle ; les revendications elles-mêmes, si l'on peut encore parler de revendications, sont revues à la baisse pour ne pas effrayer le chaland, potentiel donateur : "je veux pas déranger" v.18, "juste un peu d'eau" (v.19), "j'demande pas un ruisseau/encore moins une rivière" (v.32-33).
On minimise les problèmes de cette situation pour minimiser l'action nécessaire : pas besoin d'en faire un débat national (ou international), pas besoin de remettre en cause nos modes de vie et de pensée, juste envoyer une bouteille d'eau à des gamins qui croient que danser résoudra leurs problèmes ; juste un don pour laver sa conscience, juste l'aumône. Une lutte fondamentale est ici vendue au monde occidental et capitaliste ; bradée, prostituée.

Alfredo Jaar - Real Pictures (1)


Je ne parlerai finalement même pas de l'image, assez éloquente par elle-même : des chanteurs, pour la plupart issus de l'immigration (Chimène Badi, Jannick Noah, M. Pokora), chantent leur réussite du haut de leur fatuité et de leur signes extérieurs de richesse et de réussite (maquillage outrageant, matériel audio haut de gamme, bijoux...) face à des images de l'Afrique d'une violence et d'une bêtise à vomir. En revoyant ces vidéos vides de toute réflexion sur la représentation de la misère que nous évoquions précédemment, nous ne pouvons que penser que des démarches comme celles d'Alfredo Jaar(1) sont salvatrices et que cette image terrible de Raymond Depardon possède une force incroyable.

Gilles Caron - le cinéaste et photographe Raymond Depardon pendant la guerre civile au Biafra, août 1968


(1) Cette photographie d'Alfredo Jaar est la photographie d'une installation faite par l'auteur à partir d'une série de photographies sur le Rwanda. En revenant du conflit, il décide de ne pas rajouter ces images au spectacle de l'horreur et présente alors ses photographies enfermées dans de grandes boites scellées, chacune portant au-dessus d'elle des légendes décrivant les images invisibles.





Paroles


J'aurais pu être un môme,
Un bout de chou qui sourit,
Et se foutre d'être mouiller,
Comme de la dernière pluie.

Mais ici il n'y a pas d'eau,

Qu'un silence ordinaire,
Qui ne cesse de peser
Sur l'eau comme un enfer

Moi ce que je voulais c'est jouer

Mais pas avec ma vie
Et je vous regarde verser
Des larmes qu'on a plus ici

Moi ce que je voudrais c'est danser

Pour faire tomber la pluie
Et je vous regarde creuser
La terre mais pas des puits

Je ne veux pas l'aumône,

Je ne veux pas déranger,
Mais juste un peu d'eau,
Faire des ricochets,
Faire des ricochets.

Je veux pas l'aumône je ne veux pas déranger,

Mais juste un peu d'eau pour faire des ricochets,

J'aurais pu être un môme,

(Au destin magnifique)
Comme un autre qui grandit,
(Au Loin des dunes d'Afrique)
Sans avoir a scruter
(Sans avoir a subir)
Un ciel qui vous oublie
(Un ciel sans avenir)

J' demande pas un ruisseau

Encore moins une rivière
Je me sens mal,
Jeter, des bouteilles à la mer




Moi ce que je voulais c'est jouer

Mais pas avec ma vie
Et je vous regarde verser
Des larmes qu'on a plus ici




 Pour poursuivre, lisez les commentaires affligeants sur le site : http://www.unicef.fr
ou l'analyse de http://www.chartsinfrance.net qui remarque intelligemment :
"Comme quoi, les problèmes ne s'améliorent guère dans cette région du monde"

3 commentaires :

  1. cantalindependant8 janvier 2012 à 15:30

    Il n'empêche que visuellement, c'est une claque.

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  2. L'idée c'est quoi ? Collecter des fonds pour une bonne cause ? C'est à dire, en somme l'aumône ? non ? Il y a toujours quelque chose d'indécent de voir des riches demander à des pauvres de payer pour d'autres pauvres... La république, en vérité, c'est pas du tout ça.
    Et vivent les pièces jaunes !

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  3. D'ailleurs c'est étonnant le nombre de personnalités insolites cachées là-dedans : Colonel Reyel (l'homme à la chanson anti-avortement), Arielle Dombasle (la femme du philosophe milliardaire)...

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