dimanche 15 janvier 2012

Francesca Woodman

Francesca Woodman

Francesca Woodman

Francesca Woodman est une icône de la photographie. En 1981, suicidée à 22 ans, sa beauté et sa personnalité ne font que rajouter de la légende à son oeuvre puissante. Nous n'avons pas ici prétention à en retracer toute l'étendue ni toute la profondeur, mais plutôt à en donner l'avis d'un amateur touché, des commentaires de ses photographies.
Francesca Woodman

 Le travail de Francesca Woodman est particulièrement intéressant en ce qu'il questionne radicalement le médium photographique d'une manière d'abord extrêmement subtile et belle, ensuite d'une manière presque systématique et méthodique. Je veux dire par là que l'auteure choisit - sans doute plus ou moins inconsciemment - des caractéristiques inhérentes à la photographie pour les analyser une à une et les pousser à leur extrême graphique et photographique. La première d'entre elle, s'il est permis qu'on les classe ainsi, est peut-être la lumière. Plusieurs de ses photographies jouent en effet d'effets de lumières très contrastées où la lumière semble brûler les parties du corps qu'elle touche, soit à travers un verre, soit simplement par l'effet du soleil sur la peau, irradiant le sujet rarement de manière unilatérale mais bien plus souvent dans une schize rejoignant le thème de l'altérité de soi à soi-même si prégnant chez elle. De même, elle réduit par là le sujet photographié à une manifestation physico-chimique, l'extirpant à priori de son épaisseur psychologique : le sujet brûlé par la lumière n'est finalement rendu que par le papier photographique blanc, vierge de toute chimie ; elle manifeste par là la matérialité profonde de la photographie.
Francesca Woodman

Cette lumière crée aussi des déchirures dans la photographies, comme répétant les bords de l'image. Woodman joue effectivement aussi bien de la lumière que du cadre, tout aussi fondamental que la lumière en ce qui concerne la création d'une photographie. Avec une aisance stupéfiante pour une charge aussi lourde que celle de remettre en cause le cadre dans la photographie, la photographe se met la plupart du temps elle-même en scène dans des situations où un cadre fictif vient s'ajouter au cadre réel avec ceci de particulier que son personnage - elle-même - interagit consciemment avec ce cadre fictif. Ces photographies incroyablement simples sont d'une efficacité redoutable et rendent la photographie étrange à elle-même, se jouant malgré elle de ses propres infirmités et incapacités : limitation dans l'espace, planéité extrême, assujettissement à une perspective optique... 

Francesca Woodman
Francesca Woodman

Puis elle s'en prend ensuite à l'interaction personnage/paysage : comment le personnage s'intègre-t-il dans son environnement ? Comment fait-on réagir l'un par rapport à l'autre, que signifient-ils ensemble ? Telles sont les questions de base que se posent tous les photographes portraitistes, questions éternelles auxquelles il n'existe jamais vraiment de réponse, questions auxquelles Francesca Woodman répond une fois de plus avec une simplicité désarmante en dissolvant le sujet dans le fond. Elle le fait pourtant de manière assez habile pour que l'humain ne disparaisse pas sous le minéral, mais en devienne une partie ; ou plutôt pour que l'un et l'autre se mêlent indéfectiblement, que la photographie ne soit plus simplement l'image d'une personne parce qu'il faut bien la faire devant un fond parce qu'il faut bien un fond. Elle photographie l'alliance nécessaire de ces deux éléments, leur fusion, leur sens commun, leur signification seulement issue de leur rencontre.

Francesca Woodman
Francesca Woodman
On peut aussi retrouver au cours de ses photographies une sorte de réflexion sur le thème de la trace, réflexion aux accents barthésiens (même si Barthes n'a publié son essai qu'en 1980) qui donnent à la photographie son sens indiciel, son sens d'empreinte. Or, devant un topos aussi lourd et aussi pesant pour la photographie, Woodman parvient encore à en ôter le poids pour faire passer un authentique désespoir. La trace n'est plus seulement le fait de la photographie, mais la photographie devient aussi la trace d'une trace. Et la trace, comme chacun sait, l'empreinte, ne vaut que par l'absence de ce dont elle dessine les contours ; c'est bien cette caractéristique mortifère de la photographie que souligne ici l'auteure, l'absence, le manque de quelque chose. D'un homme, d'une présence, l'absence coupable de soi mélangées indiciblement dans des images que pourtant n'habite qu'un seul corps, le sien.

Francesca Woodman
Francesca Woodman
En effet, toute la photographie de Woodman n'est qu'approfondissement du médium, que problématique, recherche désespérée d'une vérité, d'un fond sur lequel s'arrêter, se reposer. Elle ne trouvera aucun répit dans le monde, toujours mobile, toujours labile ; elle trouvera toujours à creuser les plans, les surfaces lisses, y compris lorsqu'elle semble s'épanouir formellement dans la reprise de thèmes classiques. Je ne trouve à lire dans ses images que solitude, jeu sans espoir, manque. Francesca Woodman est une authentique beauté romantique à laquelle se seraient mêlés le désir désespéré de chercher des réponses et une sobriété visuelle radicale.
Francesca Woodman
Francesca Woodman
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2 commentaires :

  1. Belle rencontre avec une photographe dont je ne connaissais rien, et manière intéressante de la part du rédacteur d'exposer les critères ontologiques de la photographie à travers le travail concret d'une artiste qui semble les avoir perpétuellement mis en question. Autre chose qui me frappe dans ces portraits, et que tu effleures en parlant de l'absence paradoxale du sujet photographié (autographié ?), c'est la résistance plus précisément de son visage à toute forme de représentation : tantôt hors-champ, tantôt lointain, tantôt barré par une main, par une trace. Le fait que ce "lieu" identitaire par excellence se dérobe en permanence, n'est-ce pas également l'un des indices les plus marquants de cette "altérité de soi à soi-même" que tu mentionnes ? Et quel accès avons-nous, en tant que spectateur (voyeur), à cette femme qui "s'exhibe" (cf. première photo) sans jamais se montrer ? Assurément un travail photographique très intéressant quant à cette question de l'ipséité.
    Et pour conclure sur une dernière futile remarque : "auteure", c'est vraiment trop moche.

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  2. Peut-être ce que tu soulignes relève-t-il plus de ma propre interprétation du travail de Woodman, car il y a malgré tout plusieurs photographies dans lesquelles on voit bien son visage. Je ne pense pas qu'elle soit dans la fuite, mais bien plutôt dans la recherche désespérée (au premier sens : sans espoir).
    Et une auteure c'est pas comme un auteur. Paf.

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