dimanche 29 janvier 2012

Deux artistes de Jean-François Chevrier : Ugo Mulas


Ugo Mulas - Marcel Duchamp, New York, 1965
Dans les nouvelles éditions des articles de Jean-François Chevrier chez l'Arachnéen, on trouve cet opus, Entre les beaux-arts et les médias : photographie et art moderne ; et dans cet ouvrage, M. Chevrier fait l'analyse de quelques artistes, parmi lesquels Ugo Mulas.

Ugo Mulas - Marcel Duchamp et Eve Babitz
Ugo Mulas est une figure paradoxale de la photographie d'après-guerre : fasciné par le travail des artistes, il se rapproche de ce milieu pour en réaliser des documents d'art qui deviennent plus tard des documents d'activité, puis des actions photographiques. Peu à peu, sa réflexion sur son médium s'aiguise et se cristallise autour de deux thèmes : travailler le temps (présent de manière diffuse dans tout son travail) et vérifier méthodiquement les capacités de la photographie (particulièrement sensible dans le travail Verifiche).
Ugo Mulas - Jasper Johns
Ugo Mulas - une œuvre de Pistoletto
 Fasciné, nous l'avons dit, par le monde de l'art, Mulas commence donc par le photographier. On peut citer à ce titre les nombreux portraits qu'il a réalisé de Duchamp, mais aussi de Warhol, de Fontana, Jasper Johns... On prenant en compte l'activité des artistes, en essayant de la comprendre de manière profonde et intime, Mulas approfondit le travail de portraitiste à un point remarquable. Ainsi, photographier Duchamp posant devant ses oeuvres comme le petit Verre ou le grand Verre est révélateur d'une réflexion sur le travail de l'artiste et creuse le sens à la fois de ce travail, d'un portrait de l'artiste et de l'interaction des deux au sein d'un cliché. Parce que le portrait demande la participation active du modèle, de l'artiste, le document d'art devient un document d'activité. De même pour la photographie de Jasper Johns et de son ombre.

Ugo Mulas - Lucio Fontana
Cela est d'autant plus vrai que certaines photographies, je pense ici surtout au portrait de Fontana, sont montées en séquence, réfléchissant en cela au temps, reproduisant artificiellement, et avec le concours de l'artiste, un moment. Ugo Mulas va jusqu'à analyser l'activité des artistes qu'il photographie, proposant par exemple pour Frank Stella et Kenneth Noland l'idée d'activité rituelle ; ses recherches - J-F Chevrier va même jusqu'à parler de "son enquête nex-yorkaise" à propos de la période où il photographie les artiste américains - vont même amener Umberto Eco à dire de lui qu'il agit plus en critique d'art qu'en simple chroniqueur photographique.

Ugo Mulas - Verifiche : Il tempo fotografico
Arrivé à l'art par la pratique concrète d'un métier technique, Mulas a une vision de l'art anti-romantique qui le rapproche de Duchamp et des artistes conceptuels. Il est parfaitement conscient de la contradiction profonde de la photographie qui réside en son statisme et en sa fixité alors même que l'acte photographique prend place dans un moment temporel. Plutôt que d'en faire un constat d'échec et de se mettre au cinéma comme l'ont fait de nombreux photographes comme Robert Frank ou Depardon, il estime que cette abstraction temporelle est nécessaire pour atteindre une certaine distance au sujet qui permet de se distinguer de la fausse continuité et de ses automatismes. Cela est particulièrement sensible par exemple dans Verifica 3. Il tempo fotografico, reproduisant 36 photographies du pianiste Kounellis. Mulas par alors de "faire surgir le temps photographique", cherchant ainsi à casser les faux naturalismes littéraires ou cinématographiques par la planche-contact qui atteste ainsi vertigineusement de la présence  de temps différents sur le même espace - le tirage photographique -, ces images ne se distinguant pas par le sujet mais simplement par le moment de prise de vue.

Ugo Mulas - Verifiche 1 : hommage à Niepce
Enfin Mulas met en lien sa pratique photographique, sa réflexion et l'histoire même de la photographie : ouvrant sa série de Verifiche par un hommage à Niepce dans une planche-contact aux 36 négatifs vierges pour montrer que la photographie réside dans son support d'enregistrement technique ; la référence se fait plus explicite dans la sixième Verifica en rejouant la scène primitive du point du vue du Gras de Nièpce, celle-ci trahissant finalement, par le jeu du tirage, une enseigne Agfa et les enjeux industriels et commerciaux dont la photographie fait désormais l'objet...

Ugo Mulas - Verifiche 6 : l'agrandissement

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