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mercredi 17 juin 2015

La loi du marché : film stupide ou crétin ?

La loi du marché (Stéphane Brizé, 2015) met en scène Thierry, ouvrier licencié depuis plus d’un an, à la recherche d’un emploi, entre humiliations quotidiennes, espoir et désillusion. Nous suivons, au plus près, son entrevue à Pôle Emploi, son entretien d’embauche par webcam, la vente de son mobile-home pour tenter de sauver sa maison, sa discussion avec sa banquière… Finalement Thierry trouve un emploi de vigile dans un supermarché : il se rend vite compte – cela lui est expliqué rapidement – que son rôle va être davantage de surveiller les employés eux-mêmes plutôt que les clients. 

Le cinéma de Stéphane Brizé est naturaliste : pas d’effets de mise en scène, la vérité brute, nue, des plans longs, à la limite parfois de l’ennui – confer la visite puis la négociation entre Thierry et sa femme et un couple d’acheteur pour le mobile-home. 

Oui, Thierry a une femme ; et puis un fils, handicapé. Stéphane Brizé n’en ferait-il pas trop, dans un mélange incertain entre Zola et Dickens ? À trop vouloir faire de pathos, son film risque de perdre toute crédibilité. Heureusement, des instants lumineux, émouvants, entrecoupent la grisaille : le cours de danse, la scène familiale… c’est, peut-être, l’une des seules qualités du film : parvenir à maintenir l’espoir, une certaine légèreté.


Parce que sinon, La loi du marché est un film insignifiant. Enfin, il fait sens, mais pas dans la direction que voudrait lui imprimer Stéphane Brizé.
Le dispositif cinématographique, avant tout : occupé à produire un effet de réel, quasi documentaire, le réalisateur oublie, tout simplement, de faire du cinéma (1). Rivé au réel, Stéphane Brizé obère ce qui fait le cinéma : la grâce, l’évadée, la création… On ne lui demande pas, bien sûr, de colorer son film version pop et de faire danser et chanter ses comédiens, ni de faire de grands mouvements de grue ou un bel éclairage à la Rembrandt, ni d’inviter Woody Allen, mais tout de même… on a souvent stigmatisé – à raison - Sebastiao Salgado pour son esthétisation de la misère la plus noire, la plus sordide, pour en faire de beaux tableaux encadrés dans les galeries, offerts au bourgeois, mais cela justifie-t-il la pauvreté du cinéma de Stéphane Brizé ? 

Sebastiao Salgado, Réfugiés, Éthiopie, 1984
(Le montage n'est pas le fait du photographe)


Cinématographiquement, La loi du marché n’existe pas. Le film ne vaut que pour son propos, assez juste au demeurant : la brutalité du capitalisme, qui met en concurrence les travailleurs les uns avec les autres, les obligeant même à se surveiller mutuellement et se dénoncer les uns les autres, au point de perdre leur dignité même. Ainsi, reptation et imploration constituent-elles les deux mamelles du capitalisme moderne, et Thierry se voit bien obligé de surveiller, sur ses écrans, les caissières pour vérifier qu’elles ne s’empareraient pas des bons de réduction oubliés par les clients – confondues, deux d’entre elles seront licenciées – l’une d’elle se suicidera sur son lieu de travail.
Cela vaut-il que l’on oublie de faire du cinéma ? Non. Un film comme
Louise Wimmer (Cyrille Menegun, 2012), très dur lui aussi, mettait en scène cette précarité de manière bien plus intelligente - je pense également à Bird (Pascale Ferrand, 2015).


Cela dit ce film, sans le vouloir, pose bien cette question : quelle place pour l’engagement politique en art ? Bernard Génin, dans le magazine Positif de juin 2015, disait, en conclusion de sa critique du film Un Français (Diastème, juin 2015) : « Le film ressemble à un tract rédigé à la hâte et lourdement explicatif. Cela dit, à l’heure où le Front national tente de maquiller sa façade, tout ce qui peut rappeler que rien n’a changé dans l’arrière-boutique, et surtout dans quelle ignominie plongent ses racines, est le bienvenu ». Le propos prend ainsi, comme dans La loi du marché, le pas sur la forme, transformant le film en un manifeste tristement didactique, et partant, sans aucun intérêt artistique. Appauvrir la forme au profit du fond, c’est condamner l’esprit humain à la rétractation, l’assèchement, le recroquevillement, alors qu'il a besoin, comme toujours, de création, de réflexion, si ce n'est de sublime ; de souffle, d'envolée, de lyrisme... Quel triste monde que celui de Stéphane Brizé, qui n'a à nous offrir que le naturalisme de Zola sans le style d'Émile ! 




1. Le processus naturaliste - si ce n'est néo-réaliste - est poussé à l'extrême puisque, aux côtés de Vincent Lindon, l'on ne voit que des amateurs, jouant peu ou prou dans le film le rôle qu'ils jouent dans la vie. Cela dit, c'est Vincent Lindon qui repart avec le prix d'interprétation (alors qu'il est arrivé que des acteurs soient primés à titre collectif), et pas les amateurs (faut pas déconner non plus), qui ne servent finalement que de caution, de faire-valoir à la stratégie de Stéphane Brizé, dont l'insincérité fondamentale est ici mise à nu, et partant l'insincérité ontologique du système qui le porte au pinacle. Mais comment des jurés dont l'esprit est entièrement bouffépar l'esprit du star et du mass-système pourraient-ils ne serait-ce qu'effleurer cette vérité ? 

mardi 21 avril 2015

Histoire de Judas : du sublime comme principe actif de l'existence

Pourquoi faut-il aller voir Histoire de Judas ? Parce qu'il y a du sublime dans cette histoire - ou plutôt : que cette histoire est le sublime, son incarnation même.

Entendons-nous bien : l'épopée biblique est propice au sublime - c'est peut-être son essence. Mais ne confondons pas, de grâce, sublime et grandiloquent ; il s'agit ici d'un sublime intime, apaisé, qui peut surgir d'un rire, ou du chuintement de la roche sous les pas d'un homme.

Il s'agit ici d'un cinéma à l'os, sans gras, débarrassé de toutes les scories grandiloquentes qui encombrent trop souvent le cinéma, et les épopées bibliques en particulier, bouffies et boursouflées (Les dix commandements de Cecil B. De Mille, La passion du Christ de Mel Gibson, etc.)

Il n'est question ici au contraire que de simplicité ; peu de personnages, peu de figurants ; Jérusalem est un village. Si ce film est intimiste, c'est qu'il n'est pas braillard ; et, finalement, de cette retenue naît un beauté presque mystique - jamais illuminée. Jésus Christ n'est pas un fou prêcheur possédé ; les juifs ne sont pas des imbéciles réactionnaires braillards contempteurs de Messie ; les romains ne sont pas des occupants assoiffés de sang.

Le réalisateur rejette le symbolique, la vision mythique ; aussi la Cène n'est-elle qu'un repas - rien d'autre - ; quant à la séquence de la femme  adultère, elle est magnifique de simplicité - de détachement.

Le film tient plus de la chronique que de l'hagiographie, plus du récit intime que du peplum bruyant auquel on réduit trop souvent l'épopée biblique ; et si Judas n'est pas ici un traître, le film n'est pas un règlement de compte, n'a pas d'aspect polémique ; reste la beauté - l'investigation d'un espace sensible, ce à quoi devrait se résumer le cinéma.

Aussi l'Histoire de Judas n'est-elle pas l'histoire de l'incarnation divine dans l'Homme, mais de l'incarnation du sublime par et dans le cinématographe, dont toute la beauté est résumée par cette oeuvre, qui le transfigure et l'élève jusqu'au point de limpidité ultime.

Il ne devrait y avoir d'art que côtoyant le sublime et tentant de l'effleurer le plus possible ; il ne peut y avoir d'oeuvre qui ne palpiterait de la grâce sensuelle de la matérialité de l'espace sensible, qui ne vibrerait de toutes ses forces de chaque élément du monde et ne se donnerait pour but d'instruire le procès du trivial, qui ne proclamerait à chaque instant la nécessité de l'exaltation du sublime qui est partout, exaltation prenant la forme de l'apparente simplicité.

Le reste n'a aucune espèce d'importance.

vendredi 28 novembre 2014

La prochaine fois je viserai le coeur : refoulé du tueur ou tueur du refoulé ?

La prochaine fois je viserai le coeur, film de Cédric Anger actuellement sur nos écrans, raconte l'histoire (vraie, au dire des cartons lourdement didactiques de début et de fin de film) d'un gendarme qui, au sein de sa brigade, traque un tueur en série s'ingéniant à tuer des jeunes filles - en les percutant en voiture ou en les flinguant dans son véhicule après les avoir prises en stop. L'ironie de l'histoire, c'est que le tueur, c'est lui. 

Il ne s'agit pas ici pour moi de faire la critique du film - il est plutôt bon, allez le voir et dites-m'en des nouvelles - ni d'entamer une longue réflexion. Il s'agit seulement de pointer quelques éléments récurrents tout à fait caractéristiques des films mettant en scène des tueurs en série, que ce soit dans le cinéma français ou étranger - les quelques références égrenées ici seront françaises et américaines [1]. 

Ces éléments récurrents, quels sont-ils ? 

a/ le tueur en série est quasiment toujours un homme. 

b/ c'est un détraqué sexuel. 

c/ il tue la plupart du temps des femmes. 


La prochaine fois je viserai le coeur s'inscrit tout à fait dans cette tradition : le tueur/justicier se veut soldat - adepte de techniques militaires - mais aussi moine - flagellations, plongées dans des bains glacés, voire enveloppement du bras dans des barbelés ; comme tout bon moine qui se respecte, les femmes le dégoûtent (confer les visions de grouillement de vers de terre). Bien évidemment, le refoulement l'affecte et le fait virer fou, altérant son comportement. Attiré par la jeune femme qui fait le ménage chez lui, tombée elle-même amoureuse de lui, il en vient à accepter de se marier avec elle. Mais le lendemain, pris de dégoût avec les visions afférentes, il se fait froid et la rembarre méchamment. Au fil d'une allusion conversationnelle dans la voiture, on serait tenté de comprendre que leur nuit d'amour a connu des ratés. Et bien sûr, on sait qu'une sexualité qui fonctionne mal fait devenir fou. 

Il est étonnant de constater que ce schéma du refoulement n'est même plus discuté : il est devenu tellement évident que les réalisateurs et les scénaristes ne se posent même plus la question : il est indéniable que les tueurs en série sont des hommes détraqués sexuels ayant même parfois des problèmes avec leur mère - matrice fondamentale de la folie. 


Un artiste n'est évidemment pas un créateur individuel, la sociologie le dit depuis 50 ans. Pierre Francastel le disait dans les années 60 : 

"Ce n'est pas l'imagination individuelle des artistes qui oriente le style, c'est l'imagination collective d'une époque ou mieux, de certains groupes humains". 

Il soulignait également que 


"L'art n'est pas le résultat d'une activité miraculeuse, mais une production intellectuelle réalisée dans des conditions précises par un esprit humain, c'est-à-dire socialement et historiquement situé".  

La création artistique et la société s'influencent mutuellement dans un processus complexe d'allers-et-retours ; ainsi il n'est pas fondé d'affirmer que l'oeuvre d'art est un simple reflet de la société, 

"parce que c'est [l'artiste] lui-même qui fabrique la nature qu'il représente, l'art étant ce par quoi s'élaborent les structures mentales [...]. L'art apparaît alors moins comme déterminé que comme déterminant, révélateur de la culture qu'il contribue à construire autant qu'il en est le produit", nous disait Roger Bastide. 

Si la culture d'une époque, son idéologie, ses représentations, imprègnent l'artiste et son oeuvre, de telle sorte que certains vont même jusqu'à affirmer que l'auteur d'une oeuvre n'est pas réellement l'artiste - ce qui est largement discutable -, l'oeuvre infuse également dans la société, ainsi que chez les autres artistes qui s'en inspirant à leur tour, etc., etc.
Des représentations se forment, des schémas directifs de pensée qui deviennent naturels au point de ne plus être discutés. Ainsi La prochaine fois je viserai le cœur s'inscrit tout à fait dans la mythologie - au sens de la mise en récit du monde - freudienne de la sexualité refoulée, qui serait au cœur, qui serait la cause d'une grande partie de nos dérèglements - les tueurs en série constituant l’acmé de ce rapport déviant à la sexualité. Il s'agit bien d'une mythologie, narration fantasmée expliquant le monde - la sexualité et son refoulement étant, d'après les spéculations de Sigmund Freud, à l'origine même de la formation de l'esprit humain et de ses névroses [2]. 
Il faudrait se demander pourquoi cette mythologie freudienne a été si facilement acceptée, malgré sa non-validité scientifique qui pour moi est flagrante - disons qu'elle correspondait aux besoins d'une époque mais que, loin de disparaître, comme tout effet de mode y est condamné, la croyance est devenue vérité. La phrase de Jean-Noël Jeanneney, "une idée fausse est un fait vrai" s'applique particulièrement aux fabulations freudiennes : bien que non fondées, ses spéculations ont acquis une apparence de vérité qui n'est plus discutable aujourd'hui - acquérant par là-même une force performative (loin de décrire des faits véritables, la mythologie freudienne fabrique des comportements, et analyse des comportements à l'aune de ses valeurs, leur donnant des significations imaginaires qui à leur tour, etc., etc.)


En l'occurrence, il semble bien qu'il y ait convergence mutuelle : la mythologie freudienne a donné naissance à des œuvres qui, saturant l'espace public, nourrissent l'imaginaire collectif et accréditent encore un peu plus ces fantasmagories. L'association d'idée est immédiate, quoique souvent non pensée, non exprimée, au point que cette figure du tueur apparaît comme naturelle, allant de soi.  

L'artiste travaille, soulignait Duvignaud, avec une conscience collective ; le matériau avec lequel il créé est déjà transformé ; ainsi nous faut-il "comprendre la totalité de l'expérience artistique dans la totalité de l'expérience sociale". La figure du tueur en série n'est donc compréhensible qu'à condition de comprendre quels mécanismes sociaux l'ont engendrée, quelle réalité, réelle ou imaginaire est à sa source, et permet sa perpétuation (l'imaginaire n'est pas virtuel, c'est une modalité de la réalité sociale : l'imaginaire et les représentations qu'il contribue à forger ont autant d'influence que la "réalité vraie") ; de même, il faudrait tenter de mettre au jour la manière dont la figure du tueur en série dans les films (ou d'autres formes de production) influence à son tour l'espace social. 






Films utilisés pour le montage : 

Maniac (William Lustig, 1980)
Black Christmas (Bob Clark, 1974)
Le voyeur (Michael Powell, 1960)
Dernière séance (Laurent Achard, 2010)
L'étrangleur de Boston (Richard Fleischer, 1968)
Dressed to Kill (Brian de Palma, 1980)
Psycho (Alfred Hitchcock, 1960)











1. Soyons honnête : tous les films mettant en scène des tueurs n'utilisent pas la figure du détraqué sexuel. Il existe bien évidemment de nombreux sous-genres de films d'horreur mettant en scène des meurtriers : 

- le film de "rednecks" (les "cous-rouges", les péquenauds) : Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974, nombreuses suites et remakes), La colline a des yeux (Wes Craven, 1977, une suite, un remake en 2006), Wolf Creek (2005, une suite), Wrong Turn (2003, 4 suites), Délivrance (John Boorman, 1970) (qui n'est pas réellement un film d'horreur), entre nombreux autres films. Le sujet est alors la confrontation entre des citadins (souvent têtes à claques) et des locaux (souvent des texans) quelque peu soupe au lait, si ce n'est franchement vindicatifs. 

- le film de "rape and revenge" ("viol et vengeance") : une femme violée se venge de ses agresseurs : I Spit on Your Grave (1978), La dernière maison sur la gauche (Wes Craven, 1972, remake en 2010), All Cheerleader Die (2013), etc.

- les slasher : films mettant en scène des tueurs utilisant des objets tranchants. Tous les films que j'ai cités dans le corps du texte appartiennent à ce genre, mais n'en constituent qu'une petite partie.
Ce genre de film est le plus populaire :  Vendredi 13 (1980, 10 suites), Freddy les griffes de la nuit (Wes Craven, 1984, 8 suites), Halloween (John Carpenter, 1978, 9 suites) Scream (Wes Craven, 1996, 3 suites) constituent les exemples les plus populaires.
Ici le tueur est toujours un homme ; cependant il ne s'agit pas nécessairement d'un détraqué sexuel (hormis pour Freddy).
Play Misty for Me (Clint Eastwood, 1971) est une des exceptions : c'est une femme, à moitié nymphomane, qui tue. (Cela dit ce film n'est pas à proprement parler un slasher ni un film d'horreur)
D'autres films (par exemple ceux de Dario Argento) mettent en scène des tueuses ; cependant leur popularité est largement en-deçà de celle des films cités plus haut. 

La liste n'est pas exhaustive, et cette publication n'a pas vocation à constituer une encyclopédie du film d'horreur : de nombreuses variantes existent, de nombreux autres films qui n'ont pas été cités. Cependant la figure du tueur masculin, souvent détraqué sexuel, paraît fondamentale.  

2. Du moins, c'est ainsi qu'on le perçoit. L'oeuvre de Sigmund Freud ne se résume évidemment pas à cette seule dimension. 




mardi 19 août 2014

Le Double. Film de la tragédie, ou tragédie d'un film ? Pour une épistémologie de l'adaptation cinématographique.


Le Double, inspiré du roman homonyme de Dostoievski, nous raconte la descente aux enfers d'un personnage falot, Simon James. Ce dernier erre, tel un fantôme, dans les limbes d'une existence grise, morne, entre l'entreprise dans laquelle il travaille depuis 7 ans - cependant, il doit toujours s'isncrire comme visiteur et son supérieur hiérarchique ne connait toujours pas son nom -, la maison de retraite où vit sa mère qui le méprise - le gardien de la maison de retraite exige de lui, un jour, une somme considérable pour continuer à garder sa mère, somme qu'il donne en protestant à peine - et le restaurant où il se rend de temps en temps - la serveuse ne respecte jamais sa commande (à quelqu'un qui lui demande pourquoi il coninue à venir, il répond : "Par fidélité"). 
Incapable de prendre des décisions, empoté comme personne, Simon James se retrouve dans des situations qui ne font rire que le spectateur : n'osant pas descendre du métro alors que deux personnes gênent l'entrée, il se décide au dernier moment et coince sa mallette dans la porte - il ne la reverra jamais - ; etc.
De plus, le pauvre Simon James est amoureux d'Hannah, qui travaille dans la même entreprise que lui, et qu'il épie depuis son appartement - elle habite juste en face de chez lui - et dont il récupère dans le vide-ordure les dessins qu'elle déchire après avoir réalisés.
En bref, la vie de Simon James n'est pas folichonne. Ajoutons à cela que le film se déroule dans un non-temps caractérisé, terne, mélange de Kafka et de Brazil de Terry Gilliams : un mélange disparate de modernité et d'ancien, où les ordinateurs des années 80 côtoient les ambulances modernes ; son entreprise est spécialisée dans le traitement de données, mais les tâches des différentes personnes qui travaillent dans des boxes exiguës ne sont jamais vraiment définies (le type même de l'enfer bureaucratique, qui nous rappelle, outre les références déjà cités, 1984 de George Orwell - dont s'était déjà inspiré Gilliams (la boucle référentielle est bouclée).
Or voilà qu'un jour débarque dans l'entreprise le double de Simon James, sans que cela ne semble gêner personne. Simon James, stupéfait, ne pourra qu'assister à l'irrésistible ascension de Nouveau James qui, profitant de leur absolue ressemblance, va petit à petit détruire complètement sa vie.
Nouveau James est tout l'inverse de Simon James : entreprenant, du bagout et de la faconde, il fascine Simon James qui, au début, va penser que ce Nouveau James va l'aider. C'est le cas. Évidemment, Nouveau James incarne ce double fantasmé que Simon voudrait être ; création mentale ou véritable être de chair, il va petit à petit se révéler le pire ennemi de James, d'autant plus dangereux que, bien sûr, il va jouer de l'ambiguïté entre les deux personnages.


Au début leurs rapports sont amicaux : Nouveau James, qui en deux jours dispose d'un badge, fait entrer Simon en le présentant comme son ami ; Simon passe le test à la place de Nouveau James, et obtient des résultats impressionnants : le problème est que désormais Nouveau James est la coqueluche du patron, qui méprise Simon et lui conseille de prendre exemple sur Nouveau James.
Nouveau James aide Simon à séduire Hannah ; finalement, le résultat est couru d'avance, c'est Nouveau James, qui a emménagé dans le même immeuble qu'Annah, qui la séduit. Il va séduire également la fille du patron et faire chanter Simon, réclamant de lui la clef de son appartement, menaçant de montrer les photos ("qui va-t-on croire ? Toi, ou moi ?" demande-t-il en lui montrant son badge, sur lequel est inscrit "executive quelque chose").
Les contre-attaque de Simon sont laborieuses, et aboutissent toujours à l'effet contraire : il se brouille avec Hannah, passe pour un fou dans son entreprise, tente de donner un dossier au Colonel - fondateur de l'entreprise et figure paternelle - mais se le fait voler par Nouveau James qui récolte tous les lauriers.
Finalement, mièvrerie oblige, Simon va réussir à se débarrasser de son double - non sans mal, parce que, tentant de le tuer, il se rend compte que toute atteinte portée à son double le touche lui-même.


Nul besoin d'avoir obtenu un doctorat en psychologie pour déceler les thématiques du film ; Simon, qui se sent invisible, "comme Pinocchio" - un pantin de bois qui ressemble à un garçon mais n'est pas un garçon -, broyé dans un univers que l'on pourrait qualifier de concentrationnaire (bien que la société décrite ne soit pas totalitaire, à l'inverse de "1984" ou de "Brazil"), méprisé, effectuant des tâches indéfinies à l'intérêt moyennement marqué, en quête de reconnaissance de la part d'individus qui se fichent de lui, incarne la condition de l'homme.



Le problème est bien là : c'est que tout, dans ce film, abondamment souligné, rappelé au spectateur, fait de cette production un lourd pensum à thèse, chargé de métaphores, pour en faire une allégorie, un symbole de la condition de l'homme. C'est, finalement, réduire l'intérêt du film. Reprenant les éléments du livre, il ne peut s'empêcher, premièrement, de le situer dans cette espèce de monde intemporel, non daté, irréel - répondant cependant à tous les topoï déjà évoqués  (Kafka, Orwell, Gilliam, etc.) - censé plonger le spectateur dans un singulier effroi - alors que s'il est plongé dans l'effroi, c'est celui de voir que tous les clichés sont de nouveau rabâchés, correspondant simplement à des stéréotypes qui commencent à dater sérieusement.
Il faut, pense-t-on, transformer l'intrigue qui se passe, peu ou prou, dans la Russie de 1869, en une intrigue de science-fiction, d'uchronie dystopique, comme si l'on avait peur que l'inscription dans une époque réelle - pire, passée -, puisse nuire à la portée de l'oeuvre. Comme si une histoire qui se passe en 1869, ne pouvant pas parler au spectateur, devait absolument être transposée. C'est la première stupidité de ces non-penseurs de leur art : la volonté d'adaptation. Nul besoin d'adapter - ou, si on le fait, que ce soit avec subtilité.
Le problème est bien là : c'est la volonté, à tout prix, de la recherche de la métaphore, du symbole universel, qui oblige à tout souligner, tout marteler, tout montrer avec de grandes flèches clignotantes en disant "Hé, tu l'as vu mon symbole de l'aliénation de l'homme ? De la solitude ? Du sentiment d'abandon ? De la volonté de revanche?"

Paul Klee, Pfeil im Garten (Flèche dans le jardin), 1929,
50 x 70 cm, Centre Pompidou


Le roman de Dostoievski n'est pas à proprement parler une allégorie ou un symbole, en ce sens qu'il ne cherche pas à illustrer un concept ; c'est l'oeuvre d'un homme inquiet qui se pose des questions sur l'homme, certes ; c'est un roman sur un homme qui voit vaciller son monde et qui sombre dans la folie ; un homme qui voudrait communiquer mais ne le peut pas ; une multitude de facettes sont explorées ; c'est aussi une description de la société de son époque ; il est beaucoup trop réducteur d'en faire le symbole d'un seul concept. Que l'on puisse en tirer des enseignements, des réflexions, c'est un fait, mais vouloir le transformer en symbole, c'est en faire une oeuvre à thèse illustrant une idée bien précise ; cela finalement n'est qu'en restreindre le sens - c'est exactement la même erreur qu'Orson Welles, en accord avec la doxa dominante, a faite avec Le Procès de Franz Kafka, en en faisant la seule métaphore de l'homme oppressé par la bureaucratie (avec en ligne de mire la Russie soviétique - le film a été tourné en 1962 -) ; or Le procès n'est pas du tout, pas seulement, le combat d'un homme contre une bureaucratie, ce n'est qu'une composante, un prétexte finalement ; la question est bien le rapport de l'homme à sa propre culpabilité, la recherche de sens dans une vie médiocre, aspirant à de meilleurs choses, écrasé par la figure de l'oncle, le rapport difficile à la sexualité, l'impossibilité de s'exprimer et de se défendre, et finalement l’intériorisation de la culpabilité - rappelons-nous que, dans le dernier chapitre, Joseph K. guide lui-même ses bourreaux pour les mener à son sacrifice -, entre autres multiples choses - on notera d'ailleurs de fortes similitudes avec Le double : employé de bureau souffrant en silence, n'ayant personne à qui parler, n'existant pas, aux désirs refoulés, voulant s'exprimer mais n'y parvenant jamais, voyant sa vie vaciller suite à un événement imprévu (une personne raisonnablement intelligente pourrait sans doute faire un très bon travail là-dessus).



Nécessité cinématographique grand public obligeant, toute la multiplicité et la subtilité du sens se perdent. La relation avec son double n'est finalement que sordide, une histoire de chantage crapuleux, mêlé de sexualité refoulée, agrémentée d'histoire d'amour tragique sur fond de terne dystopie. Mais est-il besoin de plonger dès les premières secondes le spectateur dans un monde étrange pour faire ressentir l'étrangeté du monde ? Pourquoi caricaturer en permanence ? Le bureau où travaille Goliadkine en 1869, les relations qu'il entretient avec différentes personnes suffisent à brosser un décor social et psychologique, suffisent à nous faire voir la tension et les interactions, parfois difficiles, de l'employé avec le monde ; le glissement progressif dans l'étrange et la folie, à partir d'un monde normal, est tout à fait anxiogène ; pourquoi nous dire d'emblée, dans le film, que le monde est bizarre ? Ce goût de la métaphore, de l'allégorie et du symbole sont la plaie d'une certaine production cinématographique ; ce goût pour l'adaptation est déplorable, également : pourquoi vouloir toujours moderniser ? Nul besoin de transposer la pièce de Kafka dans un univers nazi (cela a été fait) pour parler de l'horreur du monde. Un livre écrit il y a 150 ans peut nous en dire autant sur notre monde qu'un ouvrage contemporain ; et, bien qu'une adaptation puisse être tout à fait valable en principe, la production "grand public", la plupart du temps, n'en tire que deux ou trois idées servant d'illustration et, les transposant dans un monde moderne ou, du moins, familier aux spectateurs, n'en livre qu'une version aseptisée qui ne dit rien. Sacrifiant à la nécessité de donner du sens de manière immédiate à des spectateurs considérés comme des crétins - et qui le deviennent assurément à force de trop regarder ce genre de productions -, ce genre de film obère toute la richesse et la portée de l'oeuvre originelle, n'en livrant qu'un pâle ersatz mutilé sur l'autel de la production consensuelle de masse, avec happy-end obligatoire (c'est qu'il ne faudrait tout de même pas trop effrayer le péquin moyen).

Ce film est donc à jeter, tout simplement.

En parlant d'adaptation, notons-en une, excellente, d'"En Amérique", de Franz Kafka :  "Amerika - Rapports de classe", de Straub et Huillet.




jeudi 27 mars 2014

Alain Resnais et Chris Marker, Les statues meurent aussi




Alain Resnais, 1952. Plus connu, ce film (sur un commentaire de Chris Marker) est un hommage à l'art nègre. Le colonisateur, qui a contribué à le nier, à le folkloriser, à accélérer son déclin, est remis à sa juste place, d'où sans doute dans la fureur de la censure qui a maintenu le film loin de nos regards une dizaine d'années - le temps de passer à une phase de décolonisation censée le rendre caduc. Loin de cela, le film grandit avec le temps, témoignage sur un art de haut niveau encore marginalisé dans les musées les plus prestigieux. La statuaire nègre, comme plus tard les incunables de la Bibliothèque nationale, acquiert une autre dimension, comme l'acte de naissance de l'art africain dans les imaginaires européens. Le documentaire est ici le relais de la mémoire, un rappel pour les Blancs amnésiques de leur rêve d'antan (...)


Guy Gauthier, Le Documentaire, un autre cinéma, 2003 

lundi 30 décembre 2013

Le loup de Wall Street. Scorsese égal à lui-même : bénédiction ou malédiction ? Impressions rapides.

Le Loup de Wall Street, le dernier film de Martin Scorsese, évoque, comme son titre l'indique, l'ascension fulgurante d'un trader ambitieux dans les années 80. Incarné par Léonardo Di Caprio, le jeune loup ambitieux tutoiera les sommets jusqu'à la chute - chute finalement pas si terrible que cela.
Disons-le tout net : le film n'est pas véritablement mauvais. Il est "fun", coloré, survolté, avec des scènes parfois hilarantes, des dialogues du même acabit, il nous plonge pendant trois heures dans une ambiance quasiment baroque, avec ses excès, ses furies, ses passions. Le problème est qu'il s'agit d'un film archétypal : un film de Scorsese avant toute chose ; le film, finalement, que l'on attendait de Scorsese, qu'il nous livre, sans surprise. Scorsese fait ce film sur la bourse comme il l'a fait sur un casino, comme il l'a fait sur la mafia, sur les truands, appliquant une recette éprouvée qui finit par lasser. 



Les films de Martin Scorsese ne sont pas réellement des documents : ils ne décrivent pas des milieux de manière naturaliste. Qu'il s'agisse du casino, de la mafia, des truands, le cinéaste livre toujours des partitions grandioses - que j'appellerais moi grandiloquentes, dans le mauvais sens du terme -, fantasmatiques, avec toujours une fascination intense pour ses sujets, et notamment une prédilection pour les ascensions suivies d'une chute. Ainsi, bien qu'il soit inspiré de la vie et de l'oeuvre littéraire d'un véritable trader, Jordan Belfort (dont Léonardo Di Caprio hérite du nom dans le film), qui a véritablement connu l'ascension et la chute, le film ne prétend pas raconter une histoire vraie - et se dispense, heureusement, de l'ignominieux carton "inspiré de faits réels", ou "inspiré d'une histoire vraie" qui marque de son empreinte nauséabonde un trop grand nombre de films. Il ne faut donc pas s'attendre à un film "réaliste", et ne pas juger ce film à l'aune de ce supposé réalisme que l'on pourrait croire devoir attendre de l'oeuvre. Ce n'est pas l'objet.
Il n'en reste pas moins que ce film est finalement vide : les personnages ne sont que des archétypes, dont, à part l'hybris démesurée, on ne connait rien ; ils ne sont que des coquilles vides, des projections en trois dimensions, ne se mouvant que pour résoudre des besoins essentiels - gagner de l'argent, ingérer des drogues et baiser semblant constituer la trinité ontologique des personnages des films de Scorsese -. Il n'y a aucun enjeu dans le film, aucune tension d'aucune sorte, qu'elle soit morale, scénaristique,  ou cinématographique. Le film n'est qu'une grande farce, un grand-guignol indécrottablement stéréotypé et superficiel. 

A ce niveau, la comparaison avec le Wall Street d'Oliver Stone, tourné en 1987, est éloquente : Oliver Stone, sur la même thématique, l'argent, le pouvoir, la démesure, l'ascension, la chute, parvient à construire des personnages, des tensions, qui parfois ne se résolvent pas ; tout n'y est pas que furie et tempête, à l'inverse du Loup de Wall Street, qui est un monolithe, un bolide lancé à toute vitesse. Et même si la fin du film d'Oliver Stone peut être décevante, le film permet au spectateur de sentir des personnages, des sentiments s'incarner, lui permettant de ressentir autre chose que de l'excitation et une montée d'adrénaline devant des images. 




C'est aussi ce qui peut déranger chez Scorsese : la fascination qu'il a pour ses sujets, et la mythologie qu'il créé à partir d'eux : mythologie du gangster, du mafieux, du pouvoir, mythologie qu'il n'interroge pas. On ne peut nier que le spectateur soit fasciné par les personnages truculents que Scorsese montre ; cela n'est pas grave en soi : le problème est que Scorsese ne place jamais le spectateur en position de s'interroger sur cette fascination. Un cinéaste comme Haneke nous montre des situations ou des personnages violents, dérangeants, pour lesquels on peut avoir de l'attirance, sinon de la sympathie : il y a dans Funny Games une certaine fascination du spectateur ; mais Haneke renverse cette fascination pour que nous nous interrogions sur notre rôle, sur nos désirs de spectateurs. 



Scorsese ne fait jamais ça : son cinéma n'a aucune fonction critique, pas plus, je l'ai dit, qu'il ne décrit véritablement des univers. Ce n'est finalement qu'un pur cinéma de divertissement, à placer au même rang que Quentin Tarantino, par exemple (et d'ailleurs certains dialogue du Loup de Wall Street semblent s'être échappés d'un script de Tarantino) ; cela ne le disqualifie pas pour autant : le problème est qu'il s'agit du même film de divertissement que Mean Streets, que les Affranchis et, surtout, que Casino, et que Martin Scorsese, tout occupé qu'il est à nous étourdir d'images virtuoses, accompagnées d'une bande-son assez fantastique (quoiqu'il ne me semble guère difficile de plaquer des hits déjà existants sur des images), enivré de son habileté, oublie simplement de nous dire quoi que ce soit avec ses films. 
Regardez donc Le loup de Wall Street, puis faites la comparaison avec Wall Street : vous trouverez les mêmes éléments : l'ambition, l'argent, le pouvoir, les femmes, l'ascension, l'excès, puis la chute - en somme, tous les éléments d'une bonne tragédie - ; la seule différence étant qu'Oliver Stone nous livre une oeuvre intelligente, protéiforme, ambiguë, avec des personnages riches qui ont plusieurs facettes, qui hésitent, qui doutent, qui évoluent, là où Martin Scorsese pond une oeuvre à sens unique, qui va uniquement là où on l'attend.

Enfin, je ne saurais trop vous conseiller, si vous êtes adeptes de crises financières et de tourments moraux, de regarder Margin Call, sorti en 2011, qui aborde la même problématique, à propos cette fois de la crise de 2007. Là encore, film intelligent, qui dépasse son seul sujet pour nous livrer une riche partition - convictions, tergiversations, compromissions, au-delà de tout manichéisme.
(Je tiens à préciser qu'il n'y a nul besoin de connaissances particulières pour comprendre ces films qui ne sont bien évidemment pas des œuvres de théorie économique). 

 




mardi 31 janvier 2012

Kafka versus Welles : le duel des titans. A propos de l'adaptation cinématographique du Procès. 2ème partie.

Cet article fait suite à l'article publié précédemment.

L'ordre des chapitres lui-même a fait l'objet de débats car Kafka les écrivait sur des feuillets séparés ; savoir si tel chapitre devrait se trouver à telle ou telle place ne nous intéresse guère dans le cas présent, mais nous permet de remarquer le caractère éclaté, fragmenté du récit, qui participe grandement de ce sentiment de destabilisation du héros, mais aussi, bien sûr, du lecteur. Un récit flou, incertain, disions-nous. Ainsi, quasiment tous les chapitres débutent-ils par une indication temporelle flottante, indéfinie, qui ne permet pas de déterminer exactement quelle est la durée réelle du récit.
Chapitre 2 : " Les jours suivants..."
Chapitre 4 : " K attendait de jour en jour la semaine suivante... "
Chapitre 5 : " L'un des jours suivants..."
Chapitre 6 : " Un après-midi..."
Chapitre 7 : " Un jour d'hiver..."
Chapitre 10 (l'ultime chapitre) : " La veille de son trente et unième anniversaire..."

Plongée en apnée. Orson Welles, au contraire, choisit l'option de la plongée en apnée : tous les événements s'enchainent, toutes les situations se suivent, ne laissant aucun répit, ni au héros, ni au spectateur. Il n'y a pas de discontinuité, de fragmentation, tout est donnée, directement ; il n'y a pas cette sensation de temps qui s'écoule, du temps qui s'échappe, du temps qui se dilate, il y a seulement le temps factuel, qui marque une situation. Cela nous rappellera certains films, comme After Hours, par exemple, qui ne sont, finalement, qu'une suite de gags burlesques.



Bande-annonce After Hours (Martin Scorsese, 1986)

Paradoxalement, cette plongée dans ce qui semble, ce qui pourrait être un cauchemar - Orson Welles emploie d'ailleurs ces termes de "rêve" et de "cauchemar" à l'issue de la première séquence, celle de la parabole du gardien (que Kafka, il est intéressant de le noter, place au chapitre 9 de son livre) - s'inscrit dans un processus plus large de "re-réalisation" du récit ; c'est à dire qu'Orson Welles souligne chaque élément, exagère chaque donnée - ce à quoi l'on assiste, c'est à une véritable hypertrophie diégétique.
Kafka se plait à montrer, dans toutes ses oeuvres, des situations qui ne sont pas "normales" - il met en scène des personnages qui entretiennent entre eux des relations pour le moins troublées, et troublantes.
Prenons l'exemple de la femme dans l'oeuvre de Kafka. Que ce soit dans Le Château, avec la figure de Frieda, qui, travaillant à l'auberge, est humiliée, et dont s'entiche K., l'arpenteur,  et qui accepte de vivre avec lui dans l'école, et qui le trompe, et qui le manipule, qui semble aimer et détester K. tout à la fois - la réciproque étant vraie - ; que ce soit dans En Amérique, avec cette femme qui séduit le héros, héros qui se retrouve plus ou moins enfermé dans un appartement avec deux amis de cette même femme, mais qui, en même temps, ne tente pas réellement de s'échapper, ou encore, dans Le Procès, avec Leni, l'infirmière de l'avocat, qui fricote avec K., et dont on apprend ensuite qu'elle éprouve une fascination quasiment maladive pour tous les accusés qui défilent chez l'avocat, mais qui aide tout de même K., sans que cela ne paraisse relever de la manipulation pure, la femme, disions-nous, a un rôle important et ambigü dans les relations qu'elle entretiennent avec les héros.
Or, que fait Orson Welles ? Il transforme ces rapports complexes en vaudeville.
Il transforme Leni en roulure, qui dit à Joseph K. "Je vais vous faire l'amour et vous ne pourrez plus me quitter". Et, tandis que dans le livre, K. quittait tranquillement la maison, pour se retrouver sous une "légère pluie" - alors qu'Orson Welles, pour appuyer ses effets expressionnistes, fait gronder l'orage et tomber les éclairs sous une pluie battante -, Joseph K., dans le film, fuit à travers la maison pour échapper à l'avocat, après avoir batifolé dans les dossiers épars de l'avocat - l'amant est dans le placard, ciel mon mari, etc.


Le Procès d'Orson Welles 5/9

Ce goût de l'exagération, de l'enflement, on le retrouve dans la scène du peintre Titorelli. Orson Welles insiste lourdement sur la présence des fillettes qui, derrière les barreaux, fixent les deux hommes ; métaphore de la surveillance généralisée, de l'ordre totalitaire qui voit tout, entend tout, qui asphyxie, qui enferme. La logique Welsienne est respectée ; mais au prix de quelles lourdeurs, de quelle force démonstrative. C'est bien là tout le problème d'Orson Welles : il est démonstratif, il assène. Tout, chez lui, est démesuré ; il en devient grandiloquent, hypertrophié.
Regardons la scène de l'avocat : que voit-on ? Nous voyons une maison aux proportions démesurées, un labyrinthe baroque dans laquelle va se jouer une véritable tragi-comédie. Et quand vient le moment de l'humiliation de l'avocat, alors c'est un véritable feu d'artifice...
Une dialectique de l'affrontement. Ce qui frappe;, c'est qu'Orson Welles se situe perpétuellement dans une dialectique de l'opposition, de la polarisation : petitesse/grandeur, apparence/réalité, Joseph K./les autres, etc. Il ne connait pas la demi-mesure, car son art est démonstratif ; il illustre une thèse, ce qui n'est pas le cas de Kafka. Le cinéma est peut-être, comme le dit Jacques Rancière, "un art du sensible", mais ce n'est pas du tout la vision qu'en a Orson Welles, du moins dans ce film ; cherchant à rendre expliquable et explicite ce qui, dans le roman, ne l'est pas, et n'a pas vocation à l'être, il agit comme quelqu'un qui chercherait à enlever le "voile" qui rend les photos de David Hamilton vaporeuse - ceci dit sans préjuger de la qualité ou non des clichés de notre ami Hamilton. 
David Hamilton, Jeune Femme

       
    David Hamilton, Lever de soleil à Tahiti




















Pour terminer, et puisque l'on parle d'art démonstratif, il nous reste à nous pencher sur la fin des deux œuvres, qui condensent, qui cristallisent presque entièrement la pensée des deux artistes et illustrent de manière quasi parfaite notre propos.
Tout d'abord, la scène de la cathédrale. Tandis que, chez Kafka, cette scène est vue comme une scène de dialogue entre Joseph K. et le prêtre, qui parlent quasiment d'égaux à égaux, commentant la parabole du gardien (1), Orson Welles, au contraire, met en scène un affrontement avec Joseph K., qui gesticule en rasant les murs et en cherchant la porte, et qui finit par rencontrer l'avocat, dans cette même cathédrale ; rencontre qui donnera lieu à une espèce d'affrontement finalement assez verbeux et, encore une fois, grandiloquent et démonstratif. 





Au final, la réflexion sur la parabole est presque entièrement occultée, ne livrant qu'un pâle reflet de ce qui se passe dans le livre ; et quant à cette phrase que lance Joseph K au prêtre qui l'appelle "mon fils" quand il sort, elle ne réjouira que quelques esprits naïfs. "Je ne suis pas votre fils", répond K.
La belle affaire. Quelle portée subversive, mon Dieu ! Ce rejet commun d'un ordre social totalitaire et du prêtre hypnotiseur de foules, qui légitime cet ordre ; cette dénonciation corrosive du sabre et du goupillon, quelle audace ! Sérieusement, qui ne voit pas l'extrême pauvreté du discours d'Orson Welles ?
Quant à la toute fin du film, elle ne fait, hélas, que confirmer notre propos. Encore une fois, Orson Welles mise tout sur l'opposition entre Joseh K. et ses bourreaux.
Il est dit dans le livre que 
« K. marchait entre eux tout raide ; ils formaient maintenant à eux trois un tel bloc qu'on n'aurait pu écraser l'un d'entre eux sans anéantir les deux autres. Ils réalisaient une cohésion qu'on ne peut guère obtenir en général qu'avec de la matière morte" (2) 
Tout l'intérêt réside ici dans l'intrication entre l'acte du bourreau et du condamné ; l'un ne s'oppose pas à l'autre, ils se mélangent de manière irréfragable ; ce qui compte, c'est leur proximité. 
« Complètement d'accord désormais, ils s'engagèrent tous les trois sur un pont baigné par le clair de lune ; les messieurs obéissaient déjà docilement à ses moindres mouvements ; quand il se tourna vers le parapet, ils suivirent son indication et firent front à la rivière. [...]
"Je ne voulais pas m'arrêter", dit-il à ses deux compagnons, un peu honteux de leur docilité. [C'est nous qui soulignons] (3)
Le cinéaste, lui, on l'aura compris, met l'accent sur la contrainte exercée sur Joseph K. Mais ces bourreaux, qu'ils sont lâches ! Ils n'osent même pas égorger Joseph K. ! Et Orson Welles de nous montrer avec ostentation le couteau qu'ils se passent de l'un à l'autre, et qui brille sous la lumière blafarde de la lune. Joseph K. est obligé de les enjoindre de le tuer ; mais ils n'osent pas, les pleutres, et battent en retraite. Belle métaphore d'un régime totalitaire, qui sait qu'il a tort, qui n'ose pas regarder ses sujets en face, pour n'avoir pas lui-même à se confronter à la réalité, et qui sait qu'il a perdu. Etc., etc. 
Joseph K., dans le film, sait qu'il, finalement, est dans son droit ; il se permet alors de renvoyer le bâton de dynamite que lui ont lancé les bourreaux. 
«  Je suis heureux qu'on m'ait donné ainsi ces deux messieurs à demi-muets qui ne comprennent rien, et qu'on m'ait laissé le soin de me dire à moi-même ce qu'il faut » (4)
« Comme une lumière qui jaillit les deux battants d'une fenêtre s'ouvrirent là-haut : un homme [...] se pencha brusquement dehors, en lançant les bras en avant. Qui était-ce ? Un ami ? Une bonne âme ? Quelqu'un qui prenait part à son malheur ? Quelqu'un qui voulait l'aider ? Etait-ce un seul ? Etait-ce tous ? Y avait-il encore un recours ? Existait-il des objections qu'on n'avait pas encore soulevées ? Certainement. La logique a beau être inébranlable, elle ne résiste pas à un homme qui veut vivre. Où était le juge qu'il n'avait jamais vu ? Où était la haute cour à laquelle il n'était jamais parvenu ? Il leva les mains et écarquilla les doigts.
Mais l'un des deux messieurs venait de le saisir à la gorge ; l'autre lui enfonça le couteau dans le coeur et l'y retourna par deux fois. Les yeux mourants, K. vit encore les deux messieurs penchés tout près de son visage qui observaient le dénouement joue contre joue. 
« Comme un chien » dit-il, c'était comme si la honte dût lui survivre. (5)
Ce dernier extrait, et plus particulièrement cette ultime phrase, qui clôt l'ouvrage, expriment parfaitement les sentiments, le malaise qui peuvent étreindre l'homme : la sensation qu'il reste quelque chose à faire, sans que l'on sache quoi ; le sentiment d'appartenir à une communauté, mâtiné de celui de la solitude qui nous étreint ; et enfin, l'indignité ultime de celui qui meurt sans parvenir à se juger réellement, et découvrir le véritable rôle qu'il a joué. 
Rappelons-nous la fin de 1984, de Georges Orwell. A la fin, il est dit que le héros, je ne me souviens plus de son nom, "aimait Big Brother". "Il aimait Big Brother", lui qui, dans le livre, tente d'y échapper. 
George Orwell décrit précisément un ordre totalitaire, - peut-être est-ce lui que Welles aurait dû adapter - tandis que Kafka, à mon sens, pas du tout - d'autant plus qu'il n'a pas connu les régimes totalitaires lors de la rédaction de son livre, vers 1914 - ; cependant, leur vision pessimiste respective se rejoint : l'homme n'échappera jamais au système, que ce soit le système politique, ou social, ou encore, plus simplement, le système, les méandres de sa pensée - ce qui est encore plus désespérant dans le cas de Kafka ; car lutter contre un système, c'est possible, mais quant à lutter contre soi...


Pour finir, voici la scène finale d'un film qui, dans son genre, rejoint les préoccupations de Kafka. Qu'est-ce qu'exister ? Comment exister ? Pourquoi exister ?






                                             Scène finale de Damnation (Bela Tarr, 1988)




1.  "Le gardien a trompé l'homme, dit aussitôt K., que l'histoire avait vivement intéressé.
     - Ne te hâte pas de juger, dit l'abbé, n'adopte pas sans réflexion les opinions des étrangers. je t'ai raconté l'histoire dans le texte de l'Ecriture. On n'y dit pas que l'homme ait été trompé.
     - C'est pourtant évident, dit K. Le gardien n'a parlé que quand il a été trop tard.
     - Il n'avait pas encore été interrogé, dit l'abbé, songe aussi qu'il n'était qu'une simple sentinelle et que comme sentinelle il a fait tout son devoir.
     - Pourquoi crois-tu qu'il a fait tout son devoir ? demanda K. Il ne l'a pas fait. Son devoir était peut-être d'éloigner les étrangers, mais il aurait dû laisser passer cet homme auquel l'entrée était destinée.
     - Tu ne respectes pas assez l'Ecriture, tu changes l'histoire, dit l'abbé. (etc., etc. Extrait tiré de la page 265 de l'édition Folio Classique)

2. Page 275

3. Page 277

4. Page 276 

5. Pages 279-280

jeudi 26 janvier 2012

Pour Le Procès de Kafka. Contre l'adaptation cinématographique qu'en fit Orson Welles. 1ère partie.





Scène d'ouverture du Procès d'Orson Welles (à partir de 4'13)          





A travers la lecture synoptique du Procès de Kafka et son adaptation cinématographique, nous verrons comment Orson Welles, réduisant la portée universelle du livre, appauvrit son sens en axant son travail sur la lutte d'un homme contre un ordre injuste ; et comment il réussit l'exploit, à partir d'un matériau si riche et si complexe, de pondre un pamphlet aussi balourd et inepte.


Le Procès, c’est l’histoire de la lutte existentielle de l’homme ; c’est la mise à nu de ses interrogations les plus profondes ; c’est le questionnement permanent de ce sentiment de culpabilité qui étreint l’âme ; toutes ces interrogations irriguant d’ailleurs toute l’œuvre de Kafka.       
C’est ce qu’Orson Welles ne semble pas avoir compris. Que fait-il ? Il fait de Joseph K une victime ; et une victime qui se défend jusqu’au bout, allant même, dans le plan final, jusqu’à défier ses bourreaux.
Ce qu’Orson Welles semble ne pas avoir saisi, c’est que le livre ne montre pas un homme se battant contre une institution, ou un gouvernement, ou une société, qui l’accuseraient injustement, ou le persécuteraient ; ce n’est pas le récit d’un homme qui se bat pour rétablir son honneur.     
L’important dans toute l’histoire, c’est que Joseph K intègre sa culpabilité, allant jusqu’à s’offrir à ses bourreaux ; c’est cette acceptation de son sort qui fait tout l’intérêt du récit ; on sait que que Kafka, dans les premières ébauches de son roman, avait imaginé que Joseph K se serait rendu coupable d’un menu larcin ; mais alors, tout le propos en eût été perdu, et, par là même, tout l’intérêt de son ouvrage.
Orson Welles débarque donc avec ses gros sabots pour faire de ce récit poisseux, incertain, subtil, une charge grossière contre on ne sait quoi – les régimes totalitaires, peut-être ? Le film a été tourné en 1962, soit en pleine guerre froide - ; il re-réalise complètement le récit pour en faire une métaphore manichéenne et sans grâce.
La scène d’ouverture est, sur ce point, éloquente. « On avait sûrement calomnié Joseph K., car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin (1) ». 
Orson Welles prend le parti de donner à voir une véritable scène inquisitoriale : les hommes qui débarquent chez madame Grubach, sa logeuse, sont des brutes obtuses, hargneuses, imbéciles, qui, voulant dire "vexatoire" disent "offensatoire" (épisode rajouté par le cinéaste) ; Orson Welles, pour que l’on comprenne bien le caractère sinistre de cette arrestation – qui n’en n’est pas réellement une puisque Joseph K. restera toujours libre -, rajoute des éléments – par exemple, ce passage où Joseph K. est obligé de s’expliquer sur la présence de quatre trous dans le sol, et où ils ergotent sur la possibilité d’inscrire « ovalaire » sur le rapport -, censés nous faire saisir le caractère dictatorial, arbitraire, de la procédure. Chaque parole que profère Joseph K. est ainsi susceptible d'être retournée contre lui - ce qui constitue une déformation du sens que Kafka donnait à son livre.
En effet, dans le roman, les choses ne sont pas si tranchées que ça. Ainsi, les inspecteurs « devenaient presque tristes chaque fois que K. criait (2) ». Quand Joseph K. exige son chapeau, les 3 employés de sa banque, présents lors de cette arrestation, courent « tous l’un après l’autre le chercher, ce qui témoignait tout de même d’un certain embarras (3) ». 
Kafka met l’accent, premièrement, sur le fait que les policiers eux-mêmes ne savent pas vraiment pourquoi ils sont là ; quant au brigadier, il essaye de raisonner Joseph K., avec humanité. Le deuxième point important, capital, sont les réflexions que se fait Joseph K. durant tout l’épisode, les questions qu’il se pose, pour essayer de s’en sortir, de prendre l’avantage, de comprendre, de se justifier - par rapport aux autres, mais aussi, et surtout, par rapport à lui-même.

Mais peut-être aussi les gardiens lui mettraient-ils la main dessus s’il essayait [d’aller dans le vestibule] : alors adieu la supériorité qu’il conservait tout de même sur eux à certains égards ! Aussi préféra-t-il attendre la solution moins incertaine que le cours naturel des choses amènerait nécessairement ; il revint donc dans sa chambre sans ajouter un seul mot. (4)

Ou bien encore : 

- Mais, d’autre part, continua K. en s’adressant à tout le monde – il aurait même beaucoup aimé que les trois amateurs de photographie se retournassent pour écouter aussi -, mais d’autre part l’affaire ne saurait avoir non plus beaucoup d’importance. Je le déduis du fait que je suis accusé sans pouvoir arriver à trouver la moindre faute qu’on puisse me reprocher. Mais ce n’est encore que secondaire. La question essentielle est de savoir par qui je suis accusé ? Quelle est l’autorité qui dirige le procès ? Êtes-vous fonctionnaires ? Nul de vous ne porte d’uniforme, à moins qu’on ne veuille nommer uniforme ce vêtement – et il montrait celui de Franz – qui est plutôt un simple costume de voyage. Voilà les points que je vous demande d’éclaircir ; je suis persuadé qu’au bout de l’explication nous pourrons prendre l’un de l’autre le plus amical des congés ».
Le brigadier reposa la boîte d’allumettes sur la table.
« Vous faites erreur, dit-il, une profonde erreur. Ces messieurs que voici et moi, nous ne jouons dans votre affaire qu’un rôle purement accessoire. Nous ne savons même presque rien d’elle. [etc, etc] (5)

Un dernier exemple : 

K. parlait sur un ton assez hautain, car, bien que sa poignée de main eût été refusée, il se sentait de plus en plus indépendant de tous ces gens là, surtout depuis que le brigadier s’était levé. Il jouait avec eux. [C'est nous qui soulignons] Il avait l’intention de les suivre jusqu’à la porte de la maison s’ils s’en allaient, et de leur offrir de l’appréhender. (6)

Plusieurs observations s'offrent donc à nous. La plus importante, c'est que la relation n'est pas, dans le livre, à sens unique. C'est à dire que Jospeh K. peut engager le dialogue, que les policiers, s'ils sont certes les instruments aveugles d'un système qui les dépasse et dont ils ne sont que des subordonnés de bas-étage, sont, finalement, aussi perdus que K. En tout état de cause, ils font preuve d'humanité, voire d'empathie, puisque l'un d'eux propose, après avoir mangé le petit déjeuner de Joseph K., de lui "faire apporter un petit déjeuner du café d'en face" (7).
Quant à Joseph K., il se perd en supputations, en réflexions, en questionnements, et ce, tout au long du livre. Celui-ci, finalement, ne cherche pas à mettre à jour  un système totalitaire, il ne tente pas d'en démonter les mécanismes ; bien plutôt il nous propose de plonger dans les méandres de l'esprit d'un homme qui, comme tous les hommes, doute, et ne parvient pas à appréhender le monde. Que ce soit dans Le Terrier, dans l'Amérique, ou bien encore dans Le Château, ce sont des thèmes qui reviennent perpétuellement chez Kafka ; Orson Welles, assurément, ne les avait pas lus ; aussi n'a-t-il rien compris ; la deuxième partie de notre propos critique s'attachera à le démontrer. 
Fin de la scène d'ouverture : 



1. Traduction d’Alexandre Vialatte
2. KAFKA, Franz, Le Procès, éditions Folio Classique, p.33 
3. ibid, p.40
4. ibid, p.31
5. ibid, p.36
7. ibid, p.39
7 ibid, p. 31