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Catherine Poncin : Arcadie, Vence, 2014. |
L'artiste s'inspire de tableaux classiques illustrant de grand mythes (l'Arcadie, Sisyphe, Abel et Caïn, etc.) qui côtoient, sur une même surface, ses propres photographies. Au-delà de l'indéniable beauté formelle du résultat, ce travail est intéressant en ce qu'il renouvelle la tradition de ces mythes. Nuançons : plutôt que de les renouveler, il s'agirait plutôt de se demander de quelle manière l'on peut mettre ces mythes en image aujourd'hui. La subtilité de ce travail est qu'il évite des écueils trop rarement esquivés : l'artiste ne les revisite pas, ne les actualise pas, elle ne joue pas avec eux, ne tombe pas dans l'anecdote "lol cat" qui est souvent la plaie de beaucoup de pseudo-artistes contemporains - il n'est qu'à voir l'exécrable travail de Sacha Goldberger, qui fusionne images de super-héros ou de personnages de la pop-culture dans l'esthétique de la peinture flamande.

Les images de Sacha Goldberger plairont peut-être à quelques geeks attardés mais semble de peu d'intérêt : une fois dépassé l'aspect "lol" et tape-à-l'oeil de la fausse bonne idée, on se rend bien compte que ces images ne disent rien.
Il en va tout autrement du travail de Catherine Poncin.
Rappelons-nous pour commencer ce que Mircea Éliade disait du mythe : "Le mythe raconte une histoire sacrée ; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des commencements". Toute la tension du mythe, à mon sens, réside dans cette dialectique du temps passé et du temps présent : comment un récit mythique, qui a une fonction de récit structurant, a-t-il traversé les âges et se perpétue-t-il de nos jours ? Comment appréhender un récit mythique vieux de plusieurs centaines, milliers d'années ? Quels sont les supports de sa perpétuation ? De quelles manières le perçoit-on aujourd'hui, comment le concilie-t-on avec notre vision moderne ?
Dans le cas présent, Catherine Poncin s'intéresse à deux types de mythes : gréco-romains et judéo-chrétiens, dont l'on peut considérer qu'ils forment l'essentiel de l'imaginaire de notre civilisation occidentale.
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Catherine Poncin, Petra, Abel et Caïn, 2014 |
Il est tout à fait intéressant de noter que ces mythes nous ne les connaissons, dans le fond, qu'au deuxième degré : c'est à dire que nous ne les appréhendons pas par les textes qui les ont fixés, mais par les images qui les ont illustrés. Peu de gens, finalement, ont lu le récit de la crucifixion de Jésus ; et plutôt que de parler de récit, il faut parler de récits au pluriel, puisque la vie de Jésus est racontée dans les quatre Évangiles. (Et si la peinture classique a montré la plupart du temps Jésus portant sa croix, cette version n'existe que dans l'Évangile selon Saint-Jean ; dans les trois autres, c'est Simon de Cyrène qui porte la croix de Jésus. Pourtant c'est bien l'image de Jésus portant sa croix qui s'est imposée - parce qu'elle était, finalement, bien plus frappante).
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Biagio d'Antonio, Le portement de croix, vers 1500, 1,9 x 1,9 mètres, musée du Louvre |
De même, nous ne lisons que très peu les textes mythologiques grecos-romains : Hercule, Ulysse, Iphigénie, Romus et Romulus, etc., etc., nous parviennent soit par l'apprentissage à l'école - notamment par le biais de l'étude des pièces classiques du XVIIè siècle -, soit par les peintures, soit, pour les épisodes les plus fameux, par les péplums - avec dans ce dernier cas une focalisation sur les grands héros et les grandes batailles.
Nous ne connaissons ainsi finalement des mythes que leur version illustrée - pour la peinture, je l'exprimerai grossièrement, à partir du XIIIème siècle.
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Catherine Poncin, Virginie, Actéon, Diane, d'après Cranach l'Ancien, 2014 |
Finalement, ces versions illustrées des mythes sont devenues les mythes eux-mêmes : le Jésus que nous connaissons n'est pas véritablement le Jésus des Évangiles, mais le Jésus qui, au fil du temps, s'est trouvé interprété, transformé par la tradition, pour finalement se fixer. Après tout, c'est là la fonction du mythe : constituer un matériau de base dont les sociétés s'emparent pour fixer leur imaginaire - leur morale, pourrait-on même dire.
Or qu'en est-il des mythes aujourd'hui ? L'intérêt du travail de Catherine Poncin est justement de raccorder a/le mythe antique,
b/ le mythe "classique" - tel qu'interprété "classiquement"
c/ et l'aujourd'hui, l'inscrivant dans notre espace sensible contemporain, non pas en le modernisant ou en grimant des jeunes d'aujourd'hui en Moïse, ou en usant de métaphores ou d'allégories douteuses, mais en montrant, au sein même de l'image, comment tous ces temps peuvent se raccorder.
Kandinsky, dans Du Spitiruel dans l'art, et dans la peinture en particulier, disait que "la musique dispose du temps, de la durée. La peinture, si elle ne dispose pas de cet avantage, peut de son côté donner au spectateur tout le contenu de l'oeuvre en un instant, ce que ne peut donner la musique" [1].
Ce qui est très frappant dans les oeuvres de Catherine Poncin, c'est justement ce rapport assez inhabituel au temps : l'impression d'une continuité qui prend garde à ne pas fusionner ; les temporalités restant distinctes mais se coudoyant irrésistiblement, s'entremêlent, chacune conservant son identité propre.
Les tableaux de l'artiste sont finalement des propagateurs d'espace-temps, initiant un continuum d'espace sensible entre l'antique et le moderne, et je lui en suis infiniment reconnaissant.
Par ailleurs la photographie est un langage.
1. Du Spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier, éd. Denoël, Folio Essai, page 99
1. Du Spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier, éd. Denoël, Folio Essai, page 99