samedi 21 janvier 2012

Histoire du réel

Paolo Uccello - La retraite des Siennois
 Une histoire serait à écrire qui retracerait notre rapport au réel. Il appert en effet que le réel n'est pas fixe ou stable, il est labile, il est flou et fluctuant. Il n 'est pas un objet à appréhender ni même à apprendre à appréhender ; il est nécessairement le résultat d'une projection subjective, d'une interprétation personnelle, d'une culture. Dans cette image du réel se mêlent les cultures personnelles, historiques, géographiques... Cette idée a été largement défendue dans de nombreux ouvrages comme Les mots et les choses de Michel Foucault où l'image du réel peut être l'epistémé ou bien encore dans les ouvrages de Jacques Rancière qui décrit le partage du sensible opéré par les œuvres d'art. On remarque notamment à travers l'histoire de nombreux mouvements artistiques qui se réclament du réalisme, de l'objectivité, du documentaire ; cela interroge le rapport au réel qu'entretiennent des civilisations à travers ces réalisations artistiques et la façon dont elles sont reçues, mais aussi les raisons qui peuvent pousser des individus à se réclamer tout à coup de la réalité.


Pablo Picasso - Weeping woman
Il faudrait retracer les différentes façons que les hommes ont eues de décrire, de transcrire le réel dans sa réalité. Je veux dire, tous les moyens que l'homme a eus, ou cru avoir, pour dire vrai ; jetant un regard rétrospectif sur l'histoire qui nous précède, on peut avancer que ces moyens ont toujours vu leur efficacité mystique décliner après qu'ils se sont diffusés et épanouis. L'on pourrait écrire cette histoire du réel à travers deux représentations fondamentales du réel qui ont toujours accompagné l'homme : l'image fixe et le verbe. Tous deux semblent comme intimement liés au réel pour l'être humain, peut-être parce que la vue et le mot sont les deux outils principaux dont nous nous servons en permanence pour appréhender la réalité. Ce désir fondamental est un désir d'information, le désir de croire que nous pouvons traduire notre intériorité en extériorité, l'angoisse d'apprendre que nous sommes seuls et que nous sommes limités dans le temps et dans l'espace, qu'on ne peut pas voir un lieu où nous ne sommes pas. C'est le désir fondamental de l'expérience collective.
David Hockney - Henry Moore Much Hadham 23rd July 1982
Concrètement, on ne peut pas vivre sans cette expérience collective, sans croire que l'on peut retirer un peu de réel de la parole ou des images des autres ; nous sommes donc tous soumis à cette impérieuse crédulité, à cet espoir. Au-delà de cette évidence, si nous ne pouvons pas nous rappeler en permanence que les signes qui nous entourent sont des signes partiels et partiaux, beaucoup d'artistes et de penseurs ont toujours tenu à souligner et à rappeler le caractère utopique ou illusoire de nos faibles moyens de nos représentations. Ce qui m'intéresserait alors serait d'analyser les styles du réalisme à travers les âges et les motivations de ceux qui l'ont défendu.

Jeff Wall - Picture for women


En lettres, depuis les correspondances latines ou même les récits homériques jusqu'au roman moderne en passant par les chansons de gestes et le roman du XIXème siècle, l'on peut dessiner les formes des différents styles en lesquels on a cru, plus ou moins consciemment, et par lesquels on a cru pouvoir exprimer le monde. De même, les peintures de batailles avaient, pendant la Renaissance, une force de persuasion incroyable sur leur public ; c'est aujourd'hui la photographie qui est en charge de cet héritage visuel (ou encore, dans le cinéma, qui est une déclinaison photographique, on pourrait retracer une histoire de la crédulité par l'histoire des effets spéciaux). On observe d'ailleurs conjointement le déclin de la photographie comme médium d'usage, notamment au profit de la modélisation 3D dans l'univers publicitaire, 3D qui fait parallèlement sa place dans le grand public ; en même temps, nombre de photographes réfléchissent actuellement à la production de la photographie et à sa réception. Un médium du réel est en passe de s'éteindre comme tel, certainement comme la peinture en son temps pour s'épanouir comme purement artistique, ou comme artistiquement moderniste. Le rapport au réel se modifie à la fois par le mouvement de quelques artistes et par la foi que place le public en leurs procédés.
Dire que le réel en lui-même est définitivement inaccessible, que l'art est la perpétuelle recherche de moyens nouveaux, inusés, pour le traduire et en donner une foi neuve. Voir en quoi des artistes conscients des limites objectives de leur art peuvent pourtant encore se battre pour en proposer différentes interprétations. Demander si cette foi dans le réel est vraiment nécessaire, étudier les passions que cette idée a pu déchaîner.

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