vendredi 1 juin 2012

Notes sur L’art en théorie de Nelson Goodman

 Nous essaierons ici de rendre compte de la pensée développée par Nelson Goodman dans les chapitres 5 à 9 de la partie « Théorie » de L’art en théorie et en action. Ces chapitres traitent plus précisément de l’art que les précédents, qui s’intéressent au récit.


 5 – Question de style

Dans ce chapitre, Nelson Goodman poursuit la pensée qu’il avait développée autour du style dans Manière de faire des mondes en répondant aux commentaires d’Anita Silvers. Il y aborde deux questions : celle de savoir ce que signifie le fait de dire qu’une œuvre appartient à un style donné et celle de savoir si l’on peut dire qu’une œuvre possède plus de style qu’une autre.

Goodman souligne la différence entre lui et Silvers à propos de l’usage du mot « signature » : tandis qu’elle l’utilise comme un synonyme de « style », au contraire Goodman l’utilise pour désigner le nom de l’artiste et, partant, tous les indices permettant de situer l’œuvre qui ne sont justement pas du style. Le trait stylistique d’une œuvre est le trait qui est exemplifié par l’œuvre, et qui permet de la situer parmi un corpus significatif d’œuvres ; une œuvre appartient en même temps à de nombreux styles (le style de Picasso, le style de la période bleue, le style du XXème siècle…) 
On peut en effet dire qu’une œuvre à plus de style qu’une autre si l’on compare non pas le nombre de styles auxquels les œuvres appartiennent, mais bien plutôt le poids que prennent les traits stylistiques par rapport à d’autres traits ou à d’autres fonctions. Cela ne signifie nullement qu’une œuvre ayant plus de style soit meilleure esthétiquement : une liste de courses présente des traits stylistiques assez minoritaires comparés à la dénotation tandis qu’une peinture maniériste est toute entière constituée de ses traits stylistiques. Une peinture du Greco, cependant, pourra exemplifier des traits stylistiques aussi puissamment tout en fonctionnant selon d’autres régimes esthétiques.
Picasso - La vie - 1903
La deuxième partie du chapitre est occupée par la discussion d’un point soulevé par Mark Sagoff : celui-ci souligne que, dans le domaine du langage, il est véritablement dangereux d’introduire des prédicats « déviants » (l’exemple consacré étant la couleur « vleu »). Goodman remarque ainsi d’abord que nos prédicats esthétiques recoupent largement dans le langage nos « catégories scientifiques implantées » et nos catégories quotidiennes, ce qui pose un problème puisque les prédicats de l’art sont, fondamentalement, changeants, novateurs, transgressifs… De même, d’ailleurs, que dans la recherche scientifique où tout l’enjeu réside justement dans la création de nouveaux concepts qui ne relèvent pas du système précédent. C’est le rôle, en esthétique, de l’interprétation contre la description : celle-ci s’échine à dépasser les classes de référence implantées.
La Gioconda - Museo del Prado - Attribuée à l'atelier de Leonard de Vinci
Sagoff interroge ensuite la relation entre l’original et la contrefaçon, la question étant de savoir si l’on peut distinguer l’un de l’autre de façon stylistique. Il se trouve que Goodman avait précédemment affirmé que oui, la différence entre l’original et la copie étant – même si la copie nécessite pour être découverte un examen scientifique minutieux – d’ordre esthétique, donc, puisqu’elle permet de différencier deux œuvres, d’ordre stylistique.
Pourtant, comment peut-on affirmer qu’une œuvre et sa copie presque parfaite n’ont pas le même style ? Goodman précise que le style est une entité complexe, composée par une multitude de traits stylistiques. Deux œuvres peuvent en partager certaines, et se distinguer sur d’autres ; il est donc extrêmement rare que deux œuvres soit exactement du même style. Ces styles doivent être déterminés « par la pratique, la stipulation ou le contexte », mais on peut malgré tout affirmer, dans un sens plus commun, qu’une œuvre et sa copie réussie sont du même style.

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