6. Les symptômes de l'esthétique
Dans le chapitre suivant, Goodman attaque un point central de sa théorie : les symptômes de l'art. Un symptôme, rappelle-t-il, "n'est une condition ni nécessaire ni suffisante, mais plutôt un trait dont nous pensons qu'associé à d'autres, il peut rendre plus probable la présence d'un état notable." Il s'agit donc ici de repérer et de donner une liste des symptômes donnant l'indice d'une œuvre d'art. Goodman entoure cette définition et cette liste d'un grand nombre de précautions, expliquant par exemple que cette recherche n'est peut-être que le prémisse d'une théorie plus générale. Les symptômes de l'art doivent permettre de distinguer le fonctionnement artistique des autres fonctionnements symboliques.
Le premier de ces symptômes est l'exemplification : il s'agit du trait le plus frappant et le plus fréquent qui distingue les textes littéraires des textes non littéraires quand on le comprend comme l'usage d'exemples, c'est-à-dire de formes non nécessaires à la compréhension, c'est-à-dire de l'accent mis non seulement sur l'histoire, mais aussi sur la manière dont elle est racontée, représentée (puisque le symbole ne vaut plus uniquement pour ce qu'il dénote dans l'immédiat mais aussi pour ce qu'il évoque). L'exemplification permet aussi de dessiner les différences entre une illustration d'art et une illustration utile. L'art cherche à exemplifier certains traits de ce qu'il propose : exemplifier telle histoire (l'amour fou, la trahison, le malheur...) ou bien telle façon de dire quelque chose (la musicalité, l'association d'idée...) correspond en fait souvent à l'idéal d'atteindre le point le plus haut de quelque chose, la quête d'absolu de l'art.
Hokusai |
Goodman cite ensuite la saturation relative : la différence, explique-t-il, entre une courbe du cours de la bourse et d'un dessin d'Hokusai se trouve justement dans cette saturation : même si les lignes sont exactement semblable, toute variation de n'importe quel aspect du trait est importante dans le cas de l'art, tandis que l'on tend au contraire dans un diagramme à l'atténuation, c'est-à-dire à schématiser au maximum.
La densité syntaxique et sémantique est le symptôme suivant que Goodman désigne. Bien que, souligne-t-il, elle peut paraître d'un faible intérêt esthétique puisque de nombreux textes sont syntaxiquement denses sans pour autant être artistiques. Il nous faut donc supposer qu'au sein de l'esthétique plus que dans les autres domaines "c'est la densité qui l'emporte". Ce qui en fait bien entendu un symptôme qui ne peut qu'évoquer l'esthétique, à condition qu'il soit mêlé à d'autres symptômes.
Jeff Wall - A Sudden Gust of Wind (after Hokusai) - 1993 |
Goodman propose ensuite la référence multiple et complexe : alors que le discours pratique cherche la singularité, la franchise et la clarté en évitant l'ambiguïté et la complexité de la référence, elle est en art une voie très utilisée - bien qu'il ne s'agisse pas d'un trait exclusif ou universel.
Après ces cinq symptômes, il faut éliminer la dénotation, qui représente l'ensemble même de l'activité de représentation et qui ne fonctionne absolument pas dans le cas de l'art abstrait ; de même, la figurativité ou la fictionnalité n'ont pas été retenues puisque de nombreux textes non fictifs sont artistiques. Enfin, la fictionnalité ne fonctionne jamais qu'à travers l’exemplification par expression ou à travers une chaîne de références, qui sont toutes deux déjà répertoriés comme symptômes.
Tous ces traits tendent à la fois à réduire la transparence et à accentuer la concentration sur le symbole. Il faut donc de la lenteur pour comprendre l'art, une attention à la saturation, à la densité... Pourtant, il ne faut pas céder à l'envie de systématiser ces propositions, et bien garder à l'esprit que ces symptômes ne désignent qu'une fonction et pas un mérité esthétique.
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