jeudi 7 juin 2012

Keith Jarrett : évolution d'un langage musical original (partie 1)

Pour le pianiste américain Keith Jarrett, la musique est avant tout le résultat d'un processus, au sens où elle s'élabore par un enchaînement de phénomènes. C'est ce qu'il confiait dans le documentaire intitulé Keith Jarrett : The Art of Improvisation.1

 
Annexe n° 1

Si l'on excepte son répertoire classique, son œuvre a toujours exploré le domaine de la création spontanée : il semble donc pertinent de retenir l'exemple de ce pianiste pour nourrir une réflexion sur l'improvisation en musique. Selon Keih Jarrett, l'improvisation ne consiste pas en une connexion d'éléments écrits mais plutôt en une sorte d'exploration ex-nihilo : 
 
Annexe n° 2

J'ai commencé à réaliser que quand les gens parlent d'improvisation, ils pensent au fait de connecter une chose écrite à une autre chose écrite. Moi, quand je parle d'improvisation, j'entends partir de zéro pour aller à zéro.

Il reste pourtant difficile de nier que le discours musical d'un improvisateur se construise par des connexions entre différents éléments, certes non-écrits, constituant son identité musicale. De fait, une grande majorité de musiciens ne sont souvent que la somme de leurs influences. Cependant, par un processus d'assimilation, certains d'entre eux réussissent à se forger une identité : ils déploient alors un univers artistique dans lequel se fondent des bribes d'influences, un peu à la manière d'un vin issu de l'amalgame entre différents cépages. Il est ainsi possible d'identifier un certain nombre de lignes de force qui structurent le langage musical de Keith Jarrett. Pendant une grande partie de sa vie, ce pianiste a absorbé une multitude d'influences, toujours restituées sous la forme d'un langage très original. À l'instar de Ravel, Picasso ou Nijinski, des artistes ayant assimilé beaucoup d'influences pour ensuite développer leur propre style, Keith Jarrett est reconnaissable au bout de quelques secondes d'écoute. Il s'agit aussi d'un artiste chez qui l'émergence de ce style est assez précoce : à l'âge de huit ans, il donne son premier récital dans sa ville natale d'Allentown, en Pennsylvanie, associant déjà à un répertoire classique (Grieg, Bach, Mozart) ses propres compositions.

 Annexe n° 3

« À l'époque, j'improvisais déjà », déclare-t-il. À partir des années 1960, sa carrière s'apparente à une véritable mosaïque d'expériences : il navigue à souhait entre classique et jazz, passant des enregistrements sur orgue, avec le célèbre jazzman Miles Davis, à l'interprétation des Variations Goldberg sur clavecin, avec à chaque fois une rigueur exemplaire.2 La fascination exercée par son jeu tient beaucoup à la richesse et à la diversité de sa culture et de sa pratique musicales. Nous tenterons ici de mener une étude stylistique sur la musique du pianiste américain Keith Jarrett. Il s'agira précisément de mieux saisir le processus d'assimilation de différentes influences musicales, qui permettent à Keith Jarrett de former son propre langage, son identité. Seront ainsi relevées, dans une première partie, les influences de la musique classique sur le jeu du pianiste : nous aborderons en particulier les notions de polyphonie et d'harmonie. Notre étude traitera ensuite d'un autre aspect très prégnant dans sa musique : le procédé de l'ostinato. De nombreux compositeurs et improvisateurs ont exploré cette technique, par des approches variées dont Keith Jarrett s'est inspiré. Nous évoquerons également l'approche pop, très caractéristique de son esthétique dans les années 1970, avant de conclure par un rapprochement entre le jeu pianistique de Keith Jarrett et celui de Bill Evans, spécialement au niveau du voicing. Ce travail, par une brève analyse stylistique du langage musical de Keith Jarrett, devrait permettre l'identification d'un certain nombre de lignes de force, qui font du pianiste ce qu'il est aujourd'hui et définissent l'originalité de son style.


1. DIBB, Mark, Keith Jarrett : The Art of Improvisation, Euroarts Music Inter : 2005, 84 min.
2. Pièces pour clavecin composée au XVIIIe siècle par Johann Sebastian Bach. Les Variations Goldberg représentent un chef d'œuvre d'écriture contrapuntique, et explorent brillamment la forme « thème et variations ».

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire