Dans cette dernière partie, enfin, Goodman précise un nouveau concept : l'implémentation. L'implémentation, dit-il, se distingue de la réalisation d'une œuvre (même si cela est parfois assez délicat) : elle est la phase au cours de laquelle l’œuvre remplit sa fonction. Pour le roman, c'est être lu, pour la pièce de théâtre, c'est être présentée en public, la publication, la production devant un public, l'exposition sont des moyens d'implémentation des œuvres d'art. Les œuvres entrent ainsi dans la culture. La question de l'implémentation de la peinture se pose alors : une toile a-t-elle pour fonction d'être montrée publiquement ou en privé ?
Mais le terme "implémentation" comprend aussi pour Goodman tout ce qui permet à l’œuvre de fonctionner correctement ; or, une œuvre fonctionne correctement quand elle est véritablement comprise, c'est-à-dire quand ce qu'elle symbolise et la façon qu'elle a de le symboliser est discerné et "affecte la façon dont nous organisons et percevons le monde". Une fois de plus, Goodman est suffisamment imprécis pour que la question du public visé puisse être débattue, car l'on sait bien, en pratique, que le grand public ne perçoit et ne comprend les œuvres d'art qu'après un certain temps.
L'implémentation fait nécessairement suite à la réalisation de l’œuvre, car l'on ne peut bien sûr pas implémenter une œuvre qui ne serait pas faite. Pourtant, l'implémentation elle-même peut être réalisatrice d'art. En effet, en cohérence avec sa théorie explicitée en partie ci-avant, Goodman affirme qu'une œuvre d'art n'est jamais intrinsèquement une œuvre d'art, et inversement qu'un objet n'est jamais extrinsèque à l'art. Ce qui pourrait alors faire qu'une pierre trouvée sur une plage, ou une pissotière, soit ou non de l'art serait justement ce moment d'implémentation : si l'on permet à cet objet de fonctionner comme une œuvre d'art (c'est-à-dire, par exemple, le couper de son contexte d'origine, le placer en lumière, lui donner l'espace et le temps nécessaire à sa contemplation...), il fonctionnera effectivement comme une œuvre d'art ; l'implémentation est créatrice d'art.
Enfin, Goodman, termine en soulignant tout ce que le terme "fonctionner" recouvre : bien souvent, dit-il, les œuvres ne fonctionnent pas de manière esthétique, et bien souvent des non-œuvres fonctionnent esthétiquement. Il faut bien être éveillé à tout cela, pour faire en sorte que les œuvres puissent fonctionner correctement (voir à ce sujet les chapitres très drôles et très (im)pertinents : 3. "Un message en provenance de Mars" et 5. "La fin du musée ?" de la partie L'art en action)
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