L’autofiction, considérée dans
l’Histoire littéraire, est un genre nouveau. Mais cette classification
générique, envisagée précisément, peut nous paraître déjà ancienne, tant
elle a fait l’objet d’articles, de débats, de polémiques, d’attaques et
de plaidoyers. Le néologisme, qui désigne tout autant un genre qu’une
posture énonciative, fut inventé en 1977 par Serge Doubrovsky, lors de
la parution de Fils (Galilée). Il se caractérise par la présence
d’un pacte autobiographique, défini par Philippe Lejeune en 1975 qui
impose « l’homonymat » entre l’auteur, le narrateur et le personnage et
d’un pacte romanesque dans la mesure où ces textes se voient estampillés
« roman » sur la première de couverture. Il s’agit donc d’un pacte
contradictoire, oxymorique même, que Serge Doubrovsky résume ainsi dans La Vie l’instant
(Balland, 1985) : « Ma fiction n’est jamais du roman. J’imagine mon
existence » et qui a fait depuis des convertis et des réfractaires, des
sceptiques aussi.
Mais au-delà des polémiques et des querelles, il nous faut faire un
constat : même si la critique aime à évoquer, à chaque « rentrée
littéraire », le déclin de l’autofiction, force est de constater que
dans la littérature de l’extrême contemporain, le « je » se dit de plus
en plus, le « moi » s’expose sans pudeur et pourtant l’autobiographie
rousseauiste semble avoir fait son temps. Barthes, Robbe-Grillet ou
Guibert et plus proches de nous Doubrovsky, Ernaux, Laurens, Modiano,
Dustan, Donner ou Angot sont les hérauts -malgré eux, parfois- de ce
genre à la fois haï et adulé, marque de la mise en danger de la
« vraie » littérature de fiction pour certains, renaissance postmoderne
du genre autobiographique trop longtemps sous-estimé pour d’autres. Ce
qui est certain, c’est que l’autofiction stigmatise le retour à une
littérature du sujet qui, des années 50 aux années 70 (Nouveau Roman,
structuralisme et post-structuralisme, théorie du texte et mort de
l’auteur, matérialisme dialectique...), avait connu un rejet sans
réserve. Paradoxalement, ceux qui pendant cette même période s’étaient
fait les contradicteurs de cette littérature du sujet la remirent à
l’honneur avec la fin des idéologies. Ainsi, Barthes, auteur en 1968
d’un article intitulé « La mort de l’auteur » publiait, en 1975, son Roland Barthes par Roland Barthes, Nathalie Sarraute proposait son Enfance en 1983, Robbe-Grillet confessait qu’il avait, en fait, toujours parlé de lui dans ses romans et entamait, en 1985, avec ses Romanesques,
une trilogie qui relève d’une écriture autofictionnelle. De même,
Michel Foucault qui s’était interrogé dans un article sur « Qu’est-ce
qu’un auteur ? » confiait, quelques années plus tard à Didier Eribon que
ses livres théoriques constituaient « des fragments
autobiographiques ».
Cependant, si le sujet a fait son retour, ce n’est déjà plus celui
pré-romantique de Rousseau ou lyrique du 19ème siècle. Il a connu entre
temps « l’ère du soupçon », la psychanalyse a investi le champ
littéraire, Lacan dans « Le stade du miroir » a développé l’idée que
dès l’origine, « le moi est pris dans un ligne de fiction » (Écrits)
et Foucault a remis en cause la notion de Vérité. Le sujet que
l’autofiction expose et fait renaître de ses cendres est un sujet
fragmenté et fragmentaire, déconstruit dans sa construction même,
s’affirmant et se mettant en pièce dans un même mouvement. Plus que d’un
retour du sujet, il nous faudrait donc parler de la naissance d’un
nouveau sujet, sujet virtuel, puisque notre époque nous invite à parler
en ces termes. Un sujet qui ne s’affirme plus mais se questionne,
cherchant la proie mais ne trouvant que son ombre, selon l’expression de
Michel Leiris.
Ce nouveau sujet semble aussi avoir été marqué par la théorie du texte
et peut parfois devenir intertextuel, comme chez Guibert ou Angot.
Guibert, dans A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, se raconte dans le pastiche et la parodie de Thomas Bernhard ; Angot, elle, évoque son Inceste
en disséminant dans son texte des extraits du roman de Guibert cité
précédemment. Alors que Rousseau revendiquait l’originalité de son
projet et le caractère unique de sa personne, le sujet de l’autofiction
se façonne dans la parole de l’Autre et s’inscrit dans le sillage de ses
prédécesseurs. Le sujet, en plus d’être virtuel, se fait textuel. Il
est à l’image du genre qui l’expose : monstrueux et hybride. Il n’est
jamais un, il dit la pluralité de ce qui est en nous, il multiplie les
strates, se dévoile dans l’écriture et s’annihile dans la forme
fragmentée qu’elle prend.
L’autofiction, plus qu’un nouveau genre littéraire, est en fait le
moyen qu’a trouvé le sujet pour se mettre lui-même en question, pour
refuser l’idée d’une vérité univoque et revendiquer sa fracture. Car
comme l’a écrit Serge Doubrovsky dans Le Livre brisé « Si j’essaie de me remémorer, je m’invente. » L’autobiographie de notre époque sera alors autofiction, ou ne sera pas...
P.-S.
Lectures : Philippe Vilain, Défense de Narcisse, Paris, Grasset, 2005. Philippe Gasparini, Est-il je ?, Paris, Seuil, coll. Poétique, 2004.
Par Arnaud Guenon, trouvé sur La Revue des Ressources
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