Voici
une courte synthèse de l'article "Le métier de musicologue",
extrait de Musiques, une encyclopédie pour le XXIe
siècle, vol 2 : les savoirs musicaux.(1) L'auteur, Margaret
Bent, réunit ici les différentes composantes et orientations de la
musicologie, en questionnant la connaissance du fait musical. La
musicologue anglaise a choisi d'articuler son propos en cinq temps,
en épousant assez fidèlement l'évolution chronologique du métier
de musicologue.
Le
choix du titre laisse penser à une volonté, pour l'auteur, de
présenter, sinon d'expliquer un métier méconnu du grand public :
qu'est ce qu'un musicologue ? À quoi un musicologue consacre-t-il
son énergie et son temps ? Autant de questions qu'en tant
qu'étudiant en musicologie, j'avoue m'être moi-même posé à
maintes reprises. Dans un premier temps, c'est le mot même de
musicologie qui retient
l'attention de Bent : pourquoi avoir opté pour le suffixe -logie,
généralement associé à une connaissance scientifique, pouvant
même évoquer, chez certains, une emphase presque indigeste ? Ne
pourrait-on pas, comme elle le suggère, déceler dès le choix de ce
suffixe à connotation savante, une volonté, pour la musico-logie,
de se distinguer des autres disciplines ? Les domaines consacrés à
l'étude des beaux-arts ne peuvent, par exemple, se pâmer devant un
suffixe aussi prestigieux. Bent nous explique ensuite que le terme de
musicologie, apparu
pour la première fois en français, à la fin du XIXe
siècle, a été adopté et diffusé par les auteurs américains,
après la Première Guerre mondiale. C'est donc principalement au XXe
siècle que la musicologie s'est développée, en tant que science
indépendante : si elle était par le passé réduite avant tout à
l'étude historique de la musique, elle a su par la suite progresser
et s'ouvrir à d'autres horizons. À l'instar de Margaret Bent, on
peut certainement admettre qu'intrinsèquement, la musicologie, en
tant que domaine d'études aussi tardivement reconnu, ait ressenti un
besoin de légitimité, d'approbation « académique », de
« crédibilité et (de) respectabilité ». En somme, on
comprend que la musicologie ait cherché à ne plus être traitée
comme une annexe, une sous-ramification des champs d'études nobles
(philologie, histoire de l'art, philosophie, littérature...), mais
ait plutôt aspiré à devenir une discipline académique
indépendante. Dans la suite de son article, Bent évoque les
multiples évolutions de l'étude du phénomène musical : depuis son
lien ancestral avec l'arithmétique, la géométrie ou encore
l'astronomie, à la fin de l'Antiquité, jusqu'à sa
professionnalisation, via une accession plus récente au domaine
universitaire. Le récit de ce développement illustre à la fois
combien la question du fait musical a été l'objet de
questionnements et d'études, de tous temps, et combien elle a
progressé, par sa capacité à assimiler et à réunir des
thématiques aussi variées que la psychanalyse, la linguistique, ou
plus récemment l'acoustique, l'enregistrement sonore et l'outil
informatique.
En brossant ce rapide portrait de la notion de musicologie, Margaret
Bent réussit, dès les premières lignes de son article, à nous
sensibiliser à la question centrale de son propos : la musicologie
refuse son ancien statut de discipline amatoriale. Certes, elle exige
un niveau de formation élevé, un savoir et une méthode spécifiques
mais elle reste pourtant prisonnière de son image de dernière
arrivée, parmi les autres disciplines universitaires, et souffre
incontestablement d'un certain complexe d'infériorité vis-à-vis de
ses illustres prédécé-sœurs. C'est bien ce paradoxe qui retient
toute l'attention de Margaret Bent, dans ce texte. Selon elle, le
musicologue cherche à la fois à s'affirmer dans sa spécificité,
tout en restant soumis aux experts d'autres disciplines davantage
reconnues, traditionnellement.
Aujourd'hui,
la musicologie bien établie, dans toute sa diversité et toute sa
vitalité, pourrait être finalement bien placée pour proposer
quelques pistes innovantes à d'autres disciplines, au lieu, comme ce
fut souvent le cas au siècle dernier, de se contenter de marcher sur
leurs traces.
Il s'agit donc bien, pour Margaret Bent, de défendre le statut du
musicologue, un métier qui est encore soumis, trop souvent, à bien
des attaques : en se professionnalisant, cette discipline s'est ainsi
exposée à la colère de certains interprètes et de certains
mélomanes, farouchement opposés à toute intellectualisation, à
toute approche analytique, à toute tentative de théorisation du
champ artistique musical : mais, comme le rappelle l'auteur de cet
article, la musique et l'art ne sauraient pourtant se passer de
textes explicatifs. Pratique et théorie devraient non pas se
concurrencer, mais plutôt se compléter et se nourrir
respectivement. Tout l'enjeu du musicologue futur semble tenir,
finalement, à sa capacité à ne pas oublier sa spécificité, son
essence et son identité propre, tout en tirant profit des multiples
compétences que son métier sollicite et qui lui confèrent une
polyvalence inestimable.
1.
Musiques, une encyclopédie pour le XXIe
siècle, vol 2 : les savoirs musicaux, sous la direction de Jean-Jacques Nattiez, Paris : Actes Sud & Cité de la musique éd., 2004, p. 611-627.
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