Cet établissement est donc éminemment représentatif de la
politique culturelle initiée par François Mitterrand et Jack Lang, à travers
ses ambitions, mais aussi ses contradictions, comme le montre bien Raymonde
Moulin dans son ouvrage L’artiste,
l’institution et le marché. Un grand nombre de questions se pose en effet
et, sans en épuiser le sens, je pense qu’il est important de les connaître pour
faire progresser nos façons de faire et de voir les institutions
publiques : il s’agit, selon la taxinomie de Raymonde Moulin, d’un
établissement à la politique distributive, c’est-à-dire qui choisit les
personnes à qui il distribue son budget[1].
Cette politique présente notamment l’avantage de limiter le nombre d’ayants
droit, c’est le choix d’une aide plus efficace pour moins de personnes, c’est
le choix d’un certain élitisme contre un égalitarisme forcené. Cet « élitisme »
correspond à une des missions que nous évoquions un peu plus haut : l’aide
à la création. Cette idée contient déjà en elle-même la contradiction que nous
présentons, et qui se retrouve peu ou prou à tous les niveaux de cette
institution – comme de nombreuses autres. En effet, comment concilier l’idée de
production artistique contemporaine, pertinente, avant-gardiste et l’idée de
diffusion au plus grand nombre ? Ce qui est évident, c’est que, depuis que
l’état a commencé à intervenir en faveur des artistes – au moins depuis Malraux
—, il a participé à développer un art en rupture complète avec les goûts des
publics. C’est la problématique inévitable de la démocratisation et de la
démocratie culturelle : alors que la première entend diffuser la culture
savante et soutenir la création de pointe, la seconde conteste l’idée même de
culture savante dans un relativisme et une révision des hiérarchies radicaux,
proposant la réhabilitation de toutes les formes d’art, à tous les niveaux
sociaux et préférant la créativité à la création. [...]
Ces deux politiques sont irréductibles et pourtant elles sont
complémentaires ; leur cohabitation dans un état presque schizophrénique a
été facile du temps qu’il y avait des budgets assez grands pour tous, mais
aujourd’hui, il est impossible de continuer à développer sans limites ces deux
politiques, et notamment la seconde : les gouvernants et les finances
refusent en effet qu’on étende jusqu’au bout ce principe d’égalitarisme total
(comme il a pu exister aux Pays-Bas, par exemple) en s’appuyant sur la notion
éminemment historique, et désormais garantie juridiquement, d’originalité.
André Malraux |
Au-delà de ce problème majeur, une série d’interrogations se pose dans ce cadre : comment l’État-providence et l’État-mécène peuvent-ils fonctionner sans trop influencer les artistes ? Comment concilier la liberté et la sécurité des créateurs ? Comment ces institutions ne peuvent-elles pas être à la source d’un « art officiel »[2], que l’on entende cette expression comme l’idée d’un art de propagande, d’un art asservi ou simplement d’un art vidé de sa vitalité et de son originalité, justement ? Aussi, selon quels critères l’intervention de l’institution publique sur le marché se fait-elle ? À quel prix achète-t-elle les œuvres ? Ne risque-t-elle pas de créer une cote fictive, de fausser le jeu « réel » de l’artiste et du mécène ? Enfin, comment constituer un fonds cohérent dans une telle institution qui, nous l’avons dit, fonctionne sur la base de commissions régulièrement renouvelées ? Ce fonctionnement pluraliste et démocratique s’oppose à celui que l’on retrouve plus souvent dans les musées, c’est-à-dire où un conservateur assume l’entière responsabilité de la collection[3].
[1]
Cette politique est différente de la politique redistributive qui, à la manière
par exemple du chômage, garantit à tous ceux qui remplissent un certain nombre
de conditions une aide régulière.
[2]
Voir La crise de l’art contemporain
d’Yves Michaud
[3]
On trouvera des éléments de réponses à cette série de questions qui n’a d’autre
source que l’interrogation profonde sur le sens de la démocratie dans l’ouvrage
collectif Démocratie, dans quel
état ? aux éditions La Fabrique.
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