mercredi 28 mars 2012

Le tirage unique en photographie : Problématique

Article précédent : La photographie vue depuis les mouvements artistiques contemporains

Craigie Horsefield

Au terme de cette introduction historique, voilà donc qu'il me faut problématiser mon sujet. Analyser les œuvres d'artistes qui ne se plient plus aux dogmes postmodernistes, sans pour autant s'inscrire en réaction dans un retour pur et simple à un art modernisme dont on a esquissé les limites ici même. Il faut faire le pari de la complexité, de la profondeur et du paradoxe pour affirmer que la photographie redessine un art nouveau, tenant bien sûr compte des mouvements et des artistes qui l'ont précédé dans un dépassement intégrateur (1). Un art qui n'a plus peur de lui-même, qui s'est débarrassé de la culpabilité et de l'accusation d'être élitiste. Cet affranchissement de l'idéal pseudo-démocratique se fait au profit d'un retour de la forme, de l’œuvre, du chef d’œuvre. La période moderne reprend ses droits, pour dire en fait qu'elle n'avait jamais cessée, que le prétendu postmodernisme était un mouvement intéressant mais dépassable, mais datable. L'aura revient dans l'art, mais par là même où elle en avait été chassée, par la photographie. La photographie devient œuvre, devient enfin monument dans une rematérialisation de l’œuvre mais sans reproduire l'erreur du pictorialisme qui était de croire que la matérialité de la photographie se manifestait à sa surface.

Ian Wallace - Abstract Painting III (The Financial District) - 2010
La matérialité de l’œuvre nouvelle se manifeste, après sa forme-tableau (2) et après son objectalité (3), dans l'audace contemporaine de la rareté. Il s'agit donc d'analyser en quoi la rareté, et dans certains cas l'unicité, de l’œuvre photographique est un choix pertinent au regard de l'histoire récente de l'art. La rareté serait alors ce concept qui s'oppose à la reproduction ou à la copie, termes qu'il faudra préciser au départ de la réflexion, avec toute la complexité que peut leur apporter l'histoire de l'art et l'étude attentive de la pratique des artistes (4).

Jeff Wall - Boy falling from tree - 2010
Si l'on devait rapidement décrire ses héritages, ses dettes et ses résistances, je dirais que ce mouvement nouveau prend de la conception moderne de l'art le chef d’œuvre (unique) et l'inscription dans une histoire qui, sans avoir nécessairement de fin, avance, change. Des arts minimal et conceptuel, elle assume pourtant d'être un monument d'une espèce particulière, un monument-document, même si cet axe à mon sens perd peu à peu de sa dynamique à cause des multiples traitements dont elle a fait l'objet. Elle prend enfin du postmodernisme la construction de son sujet (en partie déjà mise en place par l'art conceptuel), ainsi que son statut de médium privilégié pour la critique et la fondation d'un art renouvelé, qui reprendrait pour quelques temps peut-être sa proximité populaire.

Jeff Wall - Mimic - 1980
A ce sujet, et à propos de l'échec politique de l'art conceptuel et de formes d'art récentes plus "engagées" (5), nous dirons à la suite de M. Rancière que l'art, pour jouer son rôle véritablement politique - qui lui est indéfectible - ne doit pas se prendre pour autre chose que l'art : ni plus et jouer à la politique, ni moins et jouer le retrait. Dans une position assumée d'artiste-artisan, le photographe peut renouer les liens qui unissent l'art et le politique, l'art et le peuple tout en s'inscrivant en résistance (6) par rapport au flux d'images qui nous noient et nous abrutissent dans une relation privilégiée à l'objet d'art. Osant la complexité, l'artiste rompt avec la démagogie d'un art facile qui se dit populaire alors qu'il n'est que populiste, du mythe de l'accessibilité par tous à l'art (7), du culte de la désinvolture, de l'interactivité...

John Coplans - Self Portrait (Back with Arms Above) - 1984
Pour finir, je définirai rapidement un corpus d'étude autour de ces quelques artistes : Jeff Wall, Ian Wallace, les Becher, Thomas Struth, Patrick Tosani, Thomas Ruff, Patrick Faigenbaum, Thomas Demand, Hiroshi Sugimoto, John Coplans, Robert Adams, Craigie Horsfield...
Patrick Tosani - Masque n°7 - 1999
(1) Françoi Poudevigne, mars 2012.
(2) Notion forgée par J-F Chevrier
(3) Ou "objectité" ; concept hérité de M. Fried, voir dans notre article dédié à son célèbre essai Contre la théâtralité
(4) A ce propos, voir la discussion avec M. Michaud, qui relativise l'unicité de la peinture dans l'histoire de l'art.
(5) Voir Dominique Baqué, Pour un nouvel art politique, qui se termine notamment par l'évocation de la photographie et du cinéma.
(6) "La poésie est une survivance", disait Valéry.
(7) Le célèbre "quart d'heure de célébrité" vanté par Andy Warhol

7 commentaires :

  1. Pardon pour ce commentaire désobligeant mais je trouve le ton pédant et très lourd. Du coup je me suis arrêté au milieu. Pourtant, sur le fond, tout ça ma l'air plutôt intéressant. Mais il me,semble que le lecteur lambada - je veux dire comme moi - aimerait bien qu'on fasse des phrases simples et qu'on lui rappelle, en quelques mots, les fameux concepts d'objectalité, de dépassement intégrateur, etc. Le plaisir de lire n'est pas de même nature que le plaisir d'écrire - pardon de rappeler cette évidence archaïque...

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  2. Ce n'est rien, il en faut, des commentaires désobligeants. Ils ont au moins l'avantage de la sincérité.
    Tout cela doit bien entendu être précédé par la lecture des articles dont celui-ci découle. C'est long et fastidieux sûrement, c'est lourd peut-être, mais c'est une pensée qui essaie, dans la douleur et la lenteur, de se mettre en place. Je m'excuse donc pour le peu de clarté de l'ensemble.
    Pour Fried, erreur corrigée, un lien redirige maintenant vers un article que j'avais déjà écrit qui essayait de défricher ces notions. De même pour Michaud.

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  3. Je viens de me rendre compte que j'avais oublié le lien redirigeant vers l'article précédent, au temps pour moi.
    Et pour le dépassement intégrateur, ce n'était rien qu'une blague auto-référentielle pour détendre l'atmosphère.

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  4. Simone le castor31 mars 2012 à 08:53

    Salut les gens,
    Deux petites remarques pour alimenter la réflexion en train de se construire. La première de pure forme : comment une petite "private joke" pourrait-elle ne pas obscurcir un discours déjà complexe ? A qui s'adresse au juste ce blog ? C'est une question à laquelle il n'est pas nécessaire de répondre à l'écran... Et sur le fond : si le "rôle véritablement politique" de l'art est en effet "indéfectible" - je cite - alors il ne "doit" rien, il n'est guère en son pouvoir de le perdre ou d'en avoir plus ou moins... Ca m'étonnerait que Rancière ait écrit ça, ou alors, c'est un des premiers signes de la sénilité...
    Suis d'accord avec le lecteur lambada, on doit pouvoir faire la même chose plus claire - et plus solide. Mais c'est déjà très très bien. On voudrait juste que ça soit encore un tout petit peu plus encore mieux... encore, plizz.

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    1. Quelque chose qui est indéfectible n'est pas toujours exprimé au même niveau. Ni au même endroit ni avec la même pertinence.
      Je pointais seulement certaines pratiques artistiques qui essaient de faire valoir leur jeu sur le politique dans LA politique, ce qui me parait un contresens.

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  5. Une chose me fait tiquer dans l'article ; c'est un détail, mais quand même. Je cite :
    "La photographie devient œuvre, devient enfin monument dans une rematérialisation de l’œuvre mais sans reproduire l'erreur du pictorialisme qui était de croire que la matérialité de la photographie se manifestait à sa surface".
    Comment peut-on qualifier "d'erreur" la pratique pictorialiste ? Que l'on aime ou pas, nous pourrons en discuter, mais pourquoi qualifier d'erreur ce qui n'est qu'une vision autre, émergeant à un moment autre - il y a plus de 100 ans en l'occurrence. Comme si l'art était une science exacte, au même titre que la physique ou la biologie, et que, en avançant dans le temps, on corrigerait les erreurs du passé - on aurait alors une histoire linéaire et bien triste. Alors que cette idée pictorialiste a une certaine validité, qu'elle peut se défendre.
    Ce que je n'aime pas ici, et qui ressort à d'autres moments dans l'article, c'est le propos excluant, clivant, assez sûr de lui. Soyons humble, que diable.

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    1. C'est bien que vous le releviez. C'était une petite provocation glissée dans le texte, comme pour l'illustrer par l'exemple. Je n'en peux plus de ces remarques qui estiment que "l'art n'est pas une science exacte", que ce n'est "que des jugements de goûts", des "opinions", pour reprendre le terme vomis par Sartre. Cette fausse humilité relativiste qui consiste à dire que tout se vaut, qu'on ne peut pas juge, qu'il faut respecter est typique d'une position de la postmodernité (décrite plus tôt) qui m'épuise.
      Bien sûr, l'assomption de ses choix et leur affirmation exige toujours énormément de précaution et de véritable humilité. Je peux toujours me tromper, mais sur le principe et la démarche, je ne démordrai pas que l'on peut écrire, que l'on doit écrire que certaines pratiques ne sont pas pertinentes, s'enferment dans des impasses, sont des non-sens du point de vue de l'histoire, des erreurs.
      En ce qui concerne le pictorialisme, et au-delà de l'émotion première - presque primitive - du "beau tirage ancien", on ne peut que constater que leur pratique s'inscrit exactement à l'opposé des pratiques qui ont fait sens à l'époque et par la suite, récupérant trop tard le mythe déjà vieux et fatigué de l'artiste romantique. Disons qu'ils ont raté leur époque et leur médium ; ils auraient été très bien en peinture au début du XIX.
      Cette position expressionniste d'abord et nostalgique ensuite n'a que peu d'intérêt pour moi et ne me semble avoir aucun lien qu'artificiel avec son époque propre et avec l'art effectivement pertinent qui le suivra.

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