lundi 5 mars 2012

Le tirage unique en photographie : Introduction - art conceptuel et minimal

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A peu près à la même époque cohabitent plusieurs autres mouvements artistiques : le pop-art, que l'on connait bien, mais aussi l'art conceptuel et l'art minimal.
Sol Lewitt - Maquette for One, Two, Three - 1979

Sol LeWitt dans "Paragraphs on Conceptual Art" (Artforum été 1967) écrit : "Je dirais que le genre d'art dans lequel je suis engagé est un art conceptuel. Dans l'art conceptuel, l'idée ou le concept est l'aspect le plus important du travail. (Dans d'autres formes d'art le concept peut être changé en cours d'exécution). Quand un artiste utilise une forme conceptuelle d'art, cela signifie que tout ce qui concerne la programmation et les décisions est fait d'avance et que l'exécution est une simple formalité...". Les liens qui unissent l'art conceptuel et l'art minimal entre eux sont ténus et ambigus, de même que les liens qui unissent ces mouvement au modernisme de Greenberg évoqué plus haut ; ainsi, l'article Universalis "Art minimal et conceptuel" explique que "l'art minimal et son alter ego l'art conceptuel peuvent être considérés comme les enfants illégitimes du modernisme". L'art minimal apparait un peu avant l'art conceptuel et semble mener au bout les recherches de Greenberg sur la planéité et sur l'auto-purification déjà évoqués. En effet, dès le début des années 60, des peintres comme Ad Reinhardt, Frank Stella et Robert Ryman vont pousser à bout les processus d'épuration, aboutissant à un "degré zéro de la peinture". Plus que la pureté de la peinture, ces artistes vont rechercher la pureté de l'expérience visuelle elle-même en expliquant que « un espace réel est fondamentalement plus fort et plus spécifique que de la peinture sur une surface plane » (1), ils vont cesser d'utiliser la peinture sur toile pour construire des objets tridimensionnels qui auront un statut à part, n'étant plus de la peinture et pas encore vraiment de la sculpture, ce que Judd appellera les "objets spécifiques"(2).
Donald Judd
Les arts minimal et conceptuel partagent à cet égard certains points communs : Denys Riout y voit une simplicité formelle qui n'exclut pas le raffinement, une absence absolue de symbolisme, la lisibilité des procédures instauratrices et une exécution froide prenant le contrepied absolu de l'expressionnisme dans la recherche de la plus grande distance possible avec le travail de la main, l'artiste n'ayant parfois jamais touché l’œuvre qu'il présente.
Laurence Weiner - A 36"x36" removal to the lathing or support wall of plaster or wallboard from a wall
Les artistes conceptuels se réclament de la même froideur mais mettent plus l'accent sur les moyens d'y parvenir ; plusieurs artistes menèrent ainsi une recherche autour des instructions, conçues comme des partitions : "Une ligne de n'importe quelle longueur est dessinée sur le mur, une deuxième ligne est dessiné à angle droit avec la première, une troisième à angle droit avec la deuxième, une quatrième à angle droit avec la troisième, jusqu'à ce que l'exécutant ait le sentiment que le mur est couvert d'un nombre suffisant de lignes" (3). Les indications écrites accompagnaient le dessin pour montrer l'équivalence des deux modalités d'existence de l’œuvre et, à la fin de chaque exposition, les murs sont repeints en blanc mais, comme l'explique Denys Riout dans Qu'est-ce que l'art moderne ?, "l’œuvre n'est pas détruite pour autant, car la disparition du visible n'altère en rien sa réalité textuelle, qui pourra reprendre corps, ailleurs, autrement." (4) Avec l'exemple suivant que choisit Riout, on comprend mieux la portée politique de ces pratiques : Laurence Weiner écrivait ainsi "1. L'artiste peut construire la pièce. 2. La pièce peut être fabriquée par quelqu'un d'autre. 3. La pièce n'a pas besoin d'être construite. Chacun e de es trois possibilités a la même valeur et reste conforme à l'intention de l'artiste. Le choix reste soumis à la décision de l'éventuel acquéreur." Cette déclaration signe la mort absolue de l’œuvre d'art unique : ne se formant plus dans un objet, l’œuvre appartient à tous ; dans le cas de Weiner, il suffirait à la limite de retenir une déclaration pour posséder l’œuvre.
Joseph Kosuth - One and Three Chair
L’œuvre dématérialisée amène les artistes à s'emparer du langage (considéré par Kosuth comme "un matériau légitime"), utilisé à la suite notamment des recherches structuralistes(5), et du livre pour défaire tout à fait l’œuvre d'art. Les artistes portent cependant une attention particulière au livre qui peut être malgré tout un objet ; l'aridité et la pauvreté de leurs publications ont tout fait pour éviter la fétichisation. Denys Riout remarque cependant la faillite - inévitable à mon sens - d'une telle idée : ces publications, ces objets, sont à leur tour petit à petit devenus rares et sont entrées dans le jeu des collections et des spéculations ; en outre son analyse de montre que cette cette faillite était prévisible dès le début, contenue par l'acceptation de la part des artistes d'un "monde de l'art" auquel ils s'adressaient.

Robert Morris - Card File
Amenant une réflexion et une autocritique radicales sur la visibilité de l’œuvre et le monde de l'art, les artistes conceptuels et minimalistes ne pouvaient que se fâcher avec les dogmes modernistes (déjà esquissés ici) qui apparaissent, par contraste, comme les gardiens de l'Œuvre et du "Grand Art". Nous avons cependant montré l'échec relatif de postures si radicales et l'on peut aussi remarquer que les artistes conservent malgré tout l'idée kantienne d'autonomie de l’œuvre d'art, notamment au travers des multiples figures de l'autarcie et de la tautologie de l'art conceptuel.
Carl André


(1) Donald Judd, « Specific Objects », 1965
(2) Voir notamment l'exposition "Art by telephone".
(3) Sol LeWitt, Oberlin, Ohiao, Oberlin College, 1970
(4) op. cit. p.381
(5) L'influence par exemple d'Austin et du langage performatif fut très grande sur certains de ces artistes.

Dan Flavin

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