mercredi 7 mars 2012

Le tirage unique en photographie : Introduction - le post-modernisme





Hans Haacke - Germania
Plus qu'un mouvement réellement constitué(1),  le post-modernisme est un phénomène identifié à postériori et dont on a tiré les caractéristiques essentielles, rassemblant sous la même bannière des artistes très différents aux recherches parfois presque opposées.

"Nous pouvons dire avec justesse du postmodernisme qu'il constitue précisément le retour de ce qui était ré primé. Le postmodernisme ne peut être compris que comme une rupture avec le modernisme."(2)
Apparu dans les années 80, sa caractéristique principale, comme son nom l'indique, l'inscrit dans une véritable révolution artistique en refusant violemment, radicalement les dogmes modernistes. Prônant l'éclectisme, le mélange(3), le flou, l'imprécis, le faux, l'à-peu-près, il s'éloigne définitivement des idées que nous avons tracées précédemment, notamment la volonté d’œuvre, d'engagement politique...



Jeff Koons


En effet, refusant toute vérité absolue, le post-modernisme se pare, dans sa réaction, d'une ironie corrosive et agressive contre la foi de certains artistes dans leur engagement social et politique. Ainsi, un artiste comme Jeff Koons, revendiquant le kitsch, s'inscrit parfaitement dans cette mouvance de dé-dramatisation de l'art, soulignant - à mon sens à la suite du pop-art, qui cultivait cependant davantage l’ambiguïté - les liens qu'entretient l'art avec ce qu'on appellerait en anglais "le business". Les relations que le postmodernisme noue avec le capitalisme libéral sont même parfois encore plus profondes que cela, de nombreux artistes vantant l'insouciance et les plaisirs immédiats, la consommation.
John Armleder

De même, John Armleder entend montrer que l'art n'est, au fond, qu'une décoration et peut-être qu'une parure de plus parmi les autres. Le culte de l'originalité et, plus profondément encore, la notion même d'avant-garde, sont éradiqués du vocabulaire artistique ; ils sont même attaqués par des artistes tels que Mike Bidlo ou Sherrie Levine, qui refont à l'identique ou sur un mode bouffon des œuvres qui leurs préexistent. De tels gestes s'appuient souvent sur l'argument plus ou moins debordien que notre monde est trop plein d'images, que rien ne sert d'en rajouter, qu'il est vain de croire faire quelque chose de nouveau(4) ; un tel exemple nous a été récemment donné par l'exposition "From here on" à Arles cet été qui, sous couvert de causticité(5), affichait la plupart du temps clichés identiques accumulés depuis internet (les pénis, les couchers de soleil...)(6).
From here on - Penelope Umbrico


Bien sûr, il n'est pas question de dire qu'un rejet aussi puissant des normes de l'art "classique" est entièrement dénué de dimension politique : même si comme nous l'avons déjà dit certains artistes le composant revendiquent l'absence d'engagement social, cet ébranlement a notamment servi la cause des "minorités" pour faire entendre leur voix dans le monde de l'art jusqu'ici très codé. Ainsi par exemple, les femmes ont beaucoup utilisé ce processus pour dénoncer une histoire de l'art entièrement - ou presque - constituée d'artistes hommes, ce qui donna lieu aux performances de Carolee Schneemann ou Jana Sterback. Enfin, Hans Haacke propose une lecture profondément dérangeante parce que profondément sincère et engagée du monde de l'art, vu par le biais des jeux d'argent, mettant en mouvement notamment des industries nauséabondes.

From here on

Entre désillusion et ironie caustique, le postmodernisme reste dans une démarche de "dé-création" de notre univers artistique, que ce soit à des fins subversives ou conservatrices. Dans un cas comme dans l'autre, nous assimilons ce concept à la perte de l'oeuvre en tant que telle, la perte de la politisation formelle artistique. En cela, le postmodernisme, certainement amené par les arts conceptuel et minimal, s'oppose profondément à la conception moderniste de l'art.(7)

Carolee Schneeman

(1) « La  postmodernité  n’est  pas  un  mouvement  ni  un  courant  artistique.  C’est  bien  plus
l’expression  momentanée  d’une  crise  de  la  modernité  qui  frappe  la  société  occidentale,  et  en
particulier les pays les plus industrialisés de la planète. Plus qu’une anticipation sur un futur qu’elle se refuse  à  envisager,  elle  apparaît  surtout  comme  le  symptôme  d’un  nouveau  ‘malaise  dans  la civilisation’. Le symptôme disparaît progressivement. La crise  reste  : elle  tient aujourd’hui une place considérable dans le débat esthétique sur l’art contemporain » Marc Jimenez, Qu'est-ce que l'esthétique ?, Gallimard, Folio Essais, Paris, 1997, p. 418.
(2) Douglas Crimp, "L'activité photographique du postmodernisme", cité par Denys Riout
(3) On peut notamment en voir sur ce blog même une illustration dans l'entretien avec M. Yves Michaud.
(4) Ne rappelons pas les innombrables artistes et critiques qui ont depuis toujours décrété que plus rien de nouveau n'arriverait, mais ayons une pensée pour Pascal qui disait "Nous sommes des nains sur des épaules de géants".
(5) A titre indicatif, rappelons qu'il y a presque 100 ans, en 1917, Marcel Duchamp créait l'Urinoir.
(6) Voir sur Rue89, le site des Rencontres d'Arles
(7) Une autre conception de l'histoire artistique de cette période est présentée de façon intéressante ici.
Jana Sterbak - Vanitas : robe de chair pour albinos anorexiques

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3 commentaires :

  1. Le teuton flingueur9 mars 2012 à 07:55

    Je pense que le verbe "éradiquer" est trop fort.
    Deux choses : l'art moderne est-il classique ? Les deux notions semblent connexes dans ce texte. Le post-modernisme, dans son rejet de tout message et de tout engagement, ne rejoint-il pas la vieille tradition de l'art pour l'art ? (Mallarmé, Huysmans, Gauthier, pour ne citer qu'eux)
    Enfin, il me semble un peu abusif d'abriter un art de pure consommation derrière Debord et sa critique du spectacle.
    Woilà, c'est tout.

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  2. Le fait est, me semble-t-il pourtant, que la philosophie postmoderne entend supprimer l'idée même d'avant-garde : "Il est pour ainsi dire convenu de sourire ou de rire des avant-gardes, qu'on considère comme les expressions d'une modernité périmée." disait J-F Lyotard dans Le postmodernisme expliqué aux enfants, p.112.
    Pour répondre à la question suivante, il faudrait que l'on s'entende sur la définition de "classique", s'il s'agit de parler de ce qu'on enseigne en classe, je répondrai que, à ce que j'en sais, le modernisme est effectivement enseigné en classe, mais bien moins que le postmodernisme, qui semble se propager partout chez les étudiants en arts.
    La critique des artistes postmodernes est bien plus puissante que celle des poètes hermétiques ou parnassiens puisqu'elle s'inscrit dans une crise extrêmement grave qui est la nôtre depuis la seconde guerre mondiale et depuis la guerre froide : une crise qui remet en question, et parfois abandonne, les présupposés kantiens sur lesquels s'est construite notre société ; la notion de vérité, par exemple, ou de critères de vérité.
    J'abonde dans votre sens à propos de Debord, j'essaie seulement de comprendre et d'expliquer une période artistique.

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  3. Comme je disais avant, Rosalind Krauss résume très bien l'opposition entre modernisme et postmodernisme comme l'opposition entre historicité et structuralisme (ou poststructuralisme).

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