samedi 26 novembre 2011

Mea Culpa, ou De l'Homme Changeant. Première partie.

     Cet article, qui fait suite à celui que j'ai publié il y a deux jours à propos du film "Intouchables", vise à apporter  une légère correction à l'opinion bien tranchée que j'en avais.

    Souvenez-vous de mes glapissements outragés et péremptoires, rappelez-vous de quelles formes outrageantes s'est revêtu mon discours, discours qui ne s'embarrassait pas de subtilités langagières  hypertrophiées, discours imbu de lui-même, à l'image, peut-être, de son auteur ; mais que celui qui n'a jamais médit sans connaitre me jette la première pierre.

    Il me faut reconnaitre mon erreur. En effet, "Intouchables", en tant que film comique, est une réussite. Il est drôle. Il est assez finaud. Il n'a rien à voir avec ces films de beaufs regardés par des beaufs (les amateurs des "Bronzés" peuvent se sentir visés, puisque c'est entre autre vers eux que vole, iridescent  et pailleté, mon mépris non dissimulé). Il nous fait, parfois, réfléchir, tant le comique et l'absurde de certaines situations font ressortir avec acuité nos accès de misère et de lâcheté à nous, spectateurs. En cela, c'est une réussite. Il y a une certaine sincérité dans ce film qui fait que l'on en ressort sans avoir l'impression d'avoir été pris pour un imbécile.

     Ce qui pose cependant problème, c'est le "sous-texte", cette idéologie, ou, pour être plus juste, ces idées, ces stéréotypes, qui, au prétexte de faire rire, ne font que renforcer certains présupposés, comme on dirait en sociologie. 
Ainsi, un exemple concret de l'idée que l'on se fait de l'art contemporain émerge à plusieurs reprises au cours du film. Il est toujours payant de placer deux ou trois bourgeois, dans une galerie, devant une œuvre incompréhensible, qui a tout l'air d'être d'une ineptie et d'une vacuité sans nom (1) (que l’œuvre ressemble à un vague gribouillis ou à une vilaine tache est un plus - c'est le cas ici). Faites donc discourir ces bourgeois (qu'ils prennent l'air pénétré en se tenant le menton tout en hochant la tête constitue un plus) de manière à que leur péroraison nous fasse bien saisir le côté artificiel et hypocrite de cet art. Et puis, brisez la glace en faisant intervenir un esprit naïf, enfantin, un bon sauvage que n'aurait pas contaminé le vice de la civilisation qui, par la vertu rafraichissante de son intervention va susciter, par le rire qu'il provoque, une véritable prise de conscience de la fausseté de nos rapports à l'art, à l'argent, et, finalement, à la vie. Opposez tout d'abord sa vivacité, sa vitalité, à l'immobilité contemplative qu'implique une œuvre (l'assimiler à l'ennui est un plus). Montrez bien à quel point ils sont ridicules, ces bourgeois pénétrés de respect pour ce truc bizarre collé au mur (insister sur le caractère minimaliste du lieu, d'une blancheur immaculée, froide,  est un plus).
Continuez votre travail de sape en mettant en avant le prix extravagant de cette œuvre (en l'occurrence, 40 000 euros, - que le bon sauvage écarquille les yeux en ouvrant grand la bouche est un plus), et enfin terminez en faisant remarquer par le bon sauvage que lui aussi pourrait en faire autant (ce qui donne, dans le cas présent, "alors le mec il a saigné du nez et il a fait une toile").
Bien sûr, il s'agit d'une caricature, destinée à faire rire ; bien sûr, il n'y a pas d'inscription sur l'écran disant "L'art contemporain, c'est de la merde". Bien sûr, toute caricature n'est que l'exagération d'une situation réelle ; on ne peut nier que le monde de l'art contemporain est devenu en grande partie un business, qui brasse des millions, que certains utilisent comme "marqueur social" en se pâmant devant des œuvres auxquelles ils n'entravent que dalle. Le problème, c'est que cette vision réductrice est la seule qui nous est proposée ici. On aurait tendance à oublier qu'il existe des artistes qui ne sont pas cyniques,  qui ont une vraie démarche, on oublie que ces artistes justifient leur travail et ont une vraie vision, s'inscrivant dans un courant de pensée, théorique, artistique, etc., ce qui est totalement occulté par ce genre de films.

    Vous pouvez aller dans n'importe quel musée d'art contemporain, si vous ne lisez pas la présentation des artistes et de leurs œuvres, vous ne comprendrez rien. Si vous voulez comprendre immédiatement et avoir une sensation instantanée, vous allez dans le salon de votre grand-mère admirer ses magnifiques points de croix ou cette fabuleuse aquarelle de Pornic achetée en 1975 lors de sa trentième année de mariage ; ou alors, vous vous rendez au Louvre regarder la Joconde (et encore, combien de personne regardent-elles ce tableau en connaissant à peine l'auteur, si peu l'époque, ne sont pas capables de le restituer dans un quelconque contexte historique. C'est un autre débat, de l'universalité et de l'immémorialité du beau, qui aura lieu plus tard).

    En somme, la vision de l'art que professe ce genre de film est extrêmement réactionnaire, oubliant que l'art, depuis une bonne centaine d'années, se préoccupe de moins en moins du beau, qu'il donne à réfléchir peut-être plus qu'à voir et que, oui, il ne se donne pas immédiatement mais impose au spectateur un questionnement, une attention, oubliant en somme que l'art n'est plus décoratif.
Ainsi il est facile de faire du populisme en adoptant les oripeaux du parler vrai opposé à cette idée fantasmée d'un parler officiel et réactionnaire ; finalement, ce film ne propose rien d'autre qu'une idéologie du divertissement, où tout doit être facile, léger, divertissant, immédiatement compréhensible. Un monde d'où toute gravité aurait disparue, dans lequel tout devrait être drôle, fun, que nous devrions "kiffer grave", comme le dit notre bourgeois handicapé - et c'est à ce moment du film que le spectateur comprend, ému, les larmes aux yeux, que ça y est, que notre handicapé a franchi la frontière, celle qui le séparait du triste monde gris et terne de la culture savante pour entrer de plain-pied dans le monde merveilleux de la culture populaire, qui vit, ELLE ! Il se baladait dans un triste film en noir et blanc et se retrouve projeté en Technicolor chez le magicien d'Oz.
Et putain, ouf.

Nous verrons dans le prochain épisode de quelles autres manières s'incarne cette polarisation binaire entre "culture savante" et "culture populaire". Et vous allez kiffer, les keums.






1. On retrouve la même situation dans "Mon pire cauchemar" d'Anne Fontaine, actuellement au cinéma. 


2 commentaires :

  1. Tout cela est bien vrai et, après avoir beaucoup rit au cinéma, on revient de ce film avec une sensation de vide, on ne sait plus trop bien, au juste, ce qui était drôle, et pourquoi.
    Mais un film drôle est un film à respecter, et celui qui renie son rire se renie lui-même. S'il y a certaines critiques à formuler elles ont été formulées par mon camarade avec beaucoup de ténacité ; je voudrais simplement ajouter que ce film est loin d'être aussi manichéen qu'on voudrait bien nous le faire croire.
    Il a des défauts, certes, mais pas celui-là.

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