mardi 15 novembre 2011

Düsseldorf 4 : Epigones

Article précédent : Gursky
Thomas Struth

Rendons hommage dans cette quatrième partie à des artistes peut-être moins connus – ou moins cotés, si toutefois il y a une différence – que les précédents, mais vers lesquels nous pousse notre goût personnel, visuel autant qu’intellectuel. Ces autres photographes ne sont pourtant pas des inconnus, le plus connu dont nous n’avons pas encore parlé étant Thomas Struth – qui est par ailleurs internationalement connu. Thomas Struth pour, en premier lieu, ses photographies de ville à l’intérieur desquelles, si elles s’inscrivent dans un objectif revendiqué un peu décevant – celui d’illustrer l’ambiance d’une ville -, on peut remarquer le traitement des passants qui a évolué au cours de son œuvre. En effet, ses photographies, au départ tout à fait vides de présence humaine, « renvoyant au fait que l’inconscient, en tant que structure interne de l’être humain, est envisagé  comme espace public intériorisé. »[1], se sont peu à peu remplies, atteignant l’idéal du paysage wallien déjà décrit à propos de Gursky : l’individu décrit comme agent social et non plus comme figure reconnaissable.
Thomas Struth

Mais le travail qu’il a certainement le plus abouti reste le travail autour du concept de musée et des comportements des spectateurs, Museum Photographs,  constitué de trois séries distinctes : la première représente des « photographies traditionnelles »[2] de tableaux devant lesquels se tiennent des spectateurs qui n’ont pas conscience d’être photographiés, tant ils sont absorbés dans leur contemplation ; ce qui est ici intéressant est la juxtaposition de deux espaces qui apparaissent comme ontologiquement distincts : le monde des œuvres d’art et le monde des spectateurs. La deuxième série de photographie ne contient aucun tableau et prend un tour plus architectural ; le photographe a fait poser des acteurs comme des spectateurs en train de contempler une œuvre. Enfin, la dernière série, Audience, reproduit de véritables spectateurs absorbés devant le David de Michel-Ange, l’appareil étant situé entre ces spectateurs et l’œuvre elle-même. La force de cette série est sa spontanéité autant que sa performance visuelle : les spectateurs semblent complètement oublier qu’ils sont en train de se faire photographier, le processus ne leur étant par ailleurs aucunement dissimulé ; il décrit bien le phénomène diderotien d’absorbement et interroge avec force le rapport que nous entretenons avec l’art et la culture et que la photographie entretien avec ces institutions, problématisant la question de la clôture (la présence du David étant implicite et nécessaire à la série) pour explorer les limites de l’autonomie esthétique de la photographie. 
Thomas Struth

Saluons enfin rapidement sa photographie de Notre-Dame de Paris, à mi-chemin entre ses photographies de ville et de musées, rompant avec un symbole du tourisme planétaire dont on se demande, ainsi aplati par la frontalité, d’où vient sa beauté si ce n’est dans la délicate palette chromatique du photographe. Plus importantes encore peuvent être ses portraits de famille habités par une étrange intimité et qui rappellent les œuvres de Patrick Faigenbaum.
Axel Hütte

Si la pratique du portrait, qu’il a pourtant inaugurée au sein de l’école de Düsseldorf, n’a jamais rencontré le succès, favorisant injustement les photographies très similaires de Thomas Ruff, Axel Hütte a pourtant toujours soutenu une activité photographique conceptuelle questionnant avant tout le thème du regard. Cela est particulièrement sensible dans ses photographies de paysage, dans lesquelles Axel Hütte reprend les codes de la « veduta » pour les déjouer, non sans mélancolie toutefois ; les images décrivent des paysages mutilés par l’homme mais tout de même consommables sur le plan esthétique, des paysages dans lesquels l’élément architectural vient apporter une dimension géométrique intéressante mais aussi la trace de l’homme abîmant toute la pureté romantique de la scène ; enfin, des espaces vierges, mais qu’on peut imaginer comme en sursis, d’une pureté provisoire. 
Axel Hütte

A l’inverse de ses professeurs, il n’hésite pas à convoquer dans ses photographies brumes et nuages qui rappellent dans ces paysages les éléments romantiques mais qui servent ici, dans un double langage, à mettre en échec le regard du spectateur, errant sur ces grands formats d’un plan à un autre. Cette mise en échec trouve son aboutissement dans la série de nuit, où les tirages sont inondés de nuit, et où l’œil est sommé de chercher du sens, de trouver du sens, et en définitive d’en créer pour meubler les interstices laissés par le photographe. Le spectateur prend ainsi conscience de son propre regard et de sa volonté de voir, de son rôle de créateur d’image. Cette expérience est assez discrète toutefois, et fait suffisamment référence aux concepts d’œuvre d’art, pour échapper au piège de la théâtralité, du maniérisme aussi bien que de l’excès de conceptualité.
Laurez Berges

Prenons le temps enfin pour des photographes dont l’œuvre est moins imposante mais dont certaines images ont une très grande force malgré tout : Laurenz Berges et ses photographies expérimentant résolument la fragmentation et le silence, le vide et le dégoût d’une vie dont on en vient à se demander si elle était vraiment mieux « avant ». 

Jörge Sasse
Jörg Sasse, aussi, et ses réflexions passionnantes sur l’absolu hétérogénéité de la photographie et du réel, questionnant ainsi le passage de trois dimensions en une, notamment par sa belle photographie 6544 représentant un train à grande vitesse dont on dirait que le toit est tout plat, comme une aquarelle dont les couleurs rappellent la composition. Les incertitudes quant à la provenance de l’ombre, sa courbe excessive et sa disparition en dessous du train entraînent définitivement et sans appel l’échec de l’identification de l’image au réel et imposent un regard contemplateur. Enfin, la fidélité incroyable à l’œuvre des Becher d’une Petra Wunderlich qui interroge la frontalité, le devant et le derrière – toujours caché, toujours inaccessible.
Petra Wunderlich


[1] Citation d’Ingo Hartman
[2] On s’aide ici de l’analyse convaincante de Michael Fried dans Contre le théâtralité, « L’autonomie aujourd’hui »

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