jeudi 1 novembre 2012

Walker Evans, American photographs -partie II-

Walker Evans, Penny picture displays, 1936

American photographs peut être perçu comme un livre qui ne traite pas d'un sujet prédéfini, mais qui organise un matériau, une collection d'images. Walker Evans devient le modèle même de l'artiste collectionneur et c'est ainsi qu'il se qualifie : « Les artistes sont, je crois, de manière figurée des collectionneurs. J'ai déjà signalé que mon œil collectionne. Tout bon collectionneur le fait. L'homme qui s'intéresse aux premières éditions françaises du dix-neuvième siècle se fixe sur ça et y revient constamment par instinct. Mon œil s'intéresse aux rues ou il n'y a que des rangées de maisons en bois. Je les trouve et je le photographie. Je les collectionne » 8

La révélation publique de sa collection personnelle de plus de 9000 cartes postales – aujourd'hui conservées au MoMA – qu'il avait entreprise à l'âge de douze ans et poursuivie jusqu'à sa mort, confirme chez lui ce goût de la collection et de l'agencement. En effet, il est amusant de constater qu'il organisera ses cartes postales en séries typologiques : « gares », « hôtels », « gratte-ciels », « trains »..., la plus fournie étant celle des scènes de rue. Cette approche typologique est peut-être à mettre en lien avec sa découverte du travail d'August Sander, mais également celui d'Eugène Atget, qui agença aussi son œuvre de la sorte. Imprégné de ces cartes postales, il réalisera même à plusieurs reprises, des clichés similaires à celles-ci et ira jusqu'à recadrer une vingtaine de tirages aux dimensions carte postale, en 1936. Cette inclination à l'accumulation et à la collection se ressent encore dans la production documentaire des cinquante dernières années, comme dans les travaux de Berd et Hilla Becher et ceux des élèves de l'école de Düsseldorf.

Anonyme, Morgan city, 1929/ Walker Evans, Street scene, 1935
                                  
La même année que la parution de son livre, une exposition rétrospective fut proposée à Walker Evans. C'est Beaumont Newhall, directeur du département photographique du MoMA, qui est chargé de son organisation. L'exposition dura deux mois (du 28 septembre au 18 novembre 1938) et comportait cent images. Au bout d'une semaine, Walker Evans bouscula l'accrochage initial de Beaumont Newhall, et demanda qu'on le laissât réaliser sa propre installation. En une nuit l'exposition est remontée. Walker Evans a effectué des opérations de collages, mais aussi de recadrages, à grands coups de ciseaux. Selon son système, du négatif au tirage, une image pouvait être (re)taillée selon les besoins du cadrage. Ce nouveau parti-pris de liberté désacralisait le tirage. Il bouscula également le côté solennel des accrochages de l'époque en proposant trois présentations différentes : des images sous passe-partout et verre, sans verre, parfois sans l'un ni l'autre. L'exposition qui précède le livre, offre une complexité différente de celui-ci : là où elle procède par constellations (architectures, signes, bâtiments, gens, paysages) qu'elle cumule, le livre lui se construit sur un jeu de correspondances et de rythmes entre les images. Par ailleurs, la sélection des photographies n'est pas identique aux deux : seules cinquante-trois d'entre elles, présentées lors de l'exposition, se retrouvent dans le livre. N'y figurent pas les images prises en Alabama en 1936, dialoguent avec le texte de James Agee dans Let Us Now Praise Famous Men.

Le livre, éponyme de l'exposition, publié peu après l'événement, dépasse largement la fonction de catalogue d'exposition, il n'est pas le dernier témoignage que l'on en a gardé après le démontage, ni un listing comptable des photographies montrées au MoMA. Intégralement conçu par Walker Evans qui impose format, sobre typographie, impression en noir et blanc, mise en page binaire (page de gauche blanche, image en vis-à-vis à droite), disposition des légendes en forme d'index, American Photographs est probablement « le premier livre moderne de la photographie, auquel tous les autres se sont mesurés. » Pour la première fois, un photographe maîtrise entièrement l'espace créatif de son livre, qu'il complète ici du texte de Lincoln Kirstein. American photographs demeure l'oeuvre majeure de Walker Evans qu'il à mené seul de bout en bout, véritable construction de sa pensée, miroir de sa vision du monde, de son Amérique...

« Evans est un grand faiseur d'images (picture maker), il est aussi un narrateur (storyteller) qui, avant de se consacrer à la photographie, a rêvé de littérature et de cinéma. Photographe, il collectionne des amorces de récit. Narrateur, il condense du temps dans des images. Chaque image est à la fois pièce et fragment ; un morceau (a piece) qui fait un tout, tel un poème, mais qui peut être traité aussi en élément de montage, placé dans un enchaînement narratif »9

Walker Evans, reconstitution de l'accrochage de l'exposition American photographs, 1938

8 CHEVRIER Jean-François, Walker Evans dans le temps et dans l'histoire, L'Arachnéen, Paris, 2010, p.52
9 Ibid., p.48

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