lundi 5 novembre 2012

Art moderne et art contemporain - extrait de rapport de stage sur les institutions artistiques

L’un des choix les plus évidemment problématiques pour une structure publique de ce genre réside dans la sélection des travaux qui constitueront son fonds. Dans le cas de nos institutions, une contrainte est connue dès le départ il s’agit du centre ou du fonds d’art contemporain. Reste alors à définir le terme. C’est dans le livre déjà cité de Raymonde Moulin que l’on trouve l’explication la plus claire de ce terme : « Les définitions de l’art contemporain se réfèrent soit à un critère juridique, strictement chronologique, soit à un critère de périodisation historique, soit à un critère de catégorisation esthétique, soit à la combinaison de ces deux derniers. »[4] Pour approfondir ici l’explication de Raymonde Moulin, nous dirons que, d’un point de vue officiel – douanier, pour être précis –, sont des œuvres contemporaines les œuvres dont les créateurs sont encore en vie ou, si ce n’est pas le cas, les œuvres qui datent de moins de vingt ans. Les historiens ainsi que les grandes maisons de vente aux enchères comme Sotheby’s définissent l’art contemporain plus largement encore, puisqu’il s’agit pour eux de l’art qui succède à la Seconde Guerre mondiale. Enfin, les conservateurs de musée apportent à la classification chronologique un sens esthétique et historique : qu’il s’agisse de l’art qui a moins de trente ans ou de l’art qui se fait à partir des années 60, ils considèrent tous plus ou moins précisément que l’art contemporain est une catégorie esthétique de l’art, catégorie dont le décernement peut valoir des luttes internes.   

Picasso


Un autre auteur dans un autre ouvrage apporte une vision complémentaire et intéressante sur le sujet : François Soulages dans Photographie contemporaine & art contemporain conteste radicalement – et paradoxalement – l’aspect chronologique du terme « art-contemporain » (auquel il adjoint un trait d’union pour distinguer son concept de l’usage habituel et flou qui en est fait). « L’art actuel est donc au moins à la fois classique, moderne et contemporain. […] L’art-contemporain n’est pas contemporain. »[5] De fait, pour François Soulages, l’art-contemporain désigne une manière particulière de faire de l’art, manière qui cohabite avec les manières classiques ou modernes. Pour résumer, l’art-contemporain introduit une véritable « coupure épistémique » dans le champ de l’art, remettant par exemple en question des notions qui jusque-là étaient évidentes comme celles d’artiste ou d’œuvre. Celui qui aurait inauguré l’art-contemporain serait Marcel Duchamp avec, en 1913, le premier ready-made intitulé La roue de bicyclette. Ce qui signe la distinction fondamentale et définitive de l’art moderne et de l’art contemporain est certainement leur position vis-à-vis de l’œuvre d’art elle-même : tandis que l’art moderne s’attache à créer une œuvre tangible (ce que Dickie appellerait « un artefact »[6]), l’art-contemporain prête plus d’importance à la démarche qu’à l’objet[7].

Duchamp


[4] Moulin, Raymonde, L’artiste, l’institution et le marché, Paris, Flammarion, 1992 p.10
[5] Soulages, François, Photographie contemporaine & art contemporain, Paris, Klincksieck, 2012 p. 25
[6] Dickie définit ainsi l’œuvre d’art en 1969 : « Une œuvre d’art, au sens descriptif, est 1) un artefact, 2) auquel une société ou un sous-groupe d’une société a conféré le statut de candidat à l’appréciation. » Dickie, George, « Defining Art », in American Philosophical Quartely, vol. 6, 1969, p. 253. Cette définition a donné lieu à de nombreux débats. Pour approfondir, cf. Michaud, Yves, L’art à l’état gazeux, Paris, Stock, 2003, pp. 157 à 160.
[7] François Soulages cite Octavio Paz : « Le silence de Duchamp est ouvert : il affirme que l’art est l’une des formes les plus élevées de la vie, à la condition que le créateur échappe à un double piège : l’illusion de l’œuvre d’art et la tentation de prendre le masque d’artiste. L’une et l’autre nous pétrifient : la première fait d’une passion une prison, la seconde d’une liberté une profession. »               
On retrouve dans Le Photographique, de R. Krauss, une autre citation de Paz sur Duchamp, qui va dans le même sens : « une œuvre qui est la négation même de la notion moderne d’œuvre ».
De plus, il n’est pas inutile de remarquer que cette définition fait appel au concept d’œuvre immatérielle, lequel a été réellement mis en œuvre – si je puis dire – dans les années 60 par les artistes conceptuels. On retombe ainsi sur la définition des conservateurs de musée proposée par Raymonde Moulin.

1 commentaire :