Ce premier -
court - article d'introduction constitue le commencement d'une
réflexion éparse, brouillonne, concernant la numérisation du
monde, et plus particulièrement de la culture. Cette réflexion se
veut un cri de guerre à l'encontre des apôtres béats de l'univers
numérique ; ou plutôt - tant le risque de passer pour un
conservateur (ou pis, un réactionnaire) est important - de pointer
et de dénoncer les dérives que cette culture numérique entraîne -
car il ne s'agit pas d'appeler à la fin d'internet, mais de
s'interroger sur les nouveaux usages que cela entraîne, les
nouvelles pratiques, et de mettre en lumière l'effet délétère
qu'elles peuvent avoir. Mon esquisse de réflexion se déroulera sur
plusieurs temps : tout d'abord, il s'agira de s'interroger sur les
nouveaux rapports à la mémoire induits par le fait que le savoir
est disponible en permanence sur le réseau. Nous évoquerons ensuite
la problématique de la nouvelle création littéraire en ligne -
avec ce questionnement sur la notion d'auteur, de création
collective que cela implique. Nous pourrions parler, plus tard, du
livre numérique. D'autres problématiques surgiront probablement.
1.Définition épistémologique et historique du concept de mémoire - pour un dépassement intégrateur
Beaucoup
s'extasient du changement de paradigme qui est en train de se faire,
à propos de la connaissance et de la mémoire. Nous passons,
disent-ils, du concept de la mémoire interne – à savoir qu'un
individu doit accumuler en lui une quantité de connaissances
considérables – à celui de mémoire externe – c'est-à-dire
qu'il ne s'agit plus d'intégrer des connaissances, de les connaître
par cœur, mais de savoir où les chercher (puisqu'elle sont toujours
disponibles en ligne), les trier, les classer. Nous ne serions plus
en face d'une connaissance passive, fruit d'un apprentissage par cœur
inutile et traumatisant, mais face à une connaissance active,
intelligente, critique, indépendante, qui ne dépendrait plus d'un
maître, mais d'elle-même. Fort bien. Nous pratiquons tous cette
forme de connaissance : quand l'on recherche une information ponctuelle - le nom
d'un acteur, ou la capitale d'un pays - il nous suffit de chercher sur
Wikipedia et, en quelques secondes, nous connaissons la réponse.
Mais cette réponse constitue-t-elle ce que l'on nomme réellement
une connaissance ? Non. Il s'agit d'une réponse à une
question, pas d'une réflexion. Pour réfléchir, pour
argumenter, pour tenir un discours, il faut avoir emmagasiné des
connaissances immédiatement mobilisables ; et pour cela, quoi
qu'en pensent certains ahuris qui rêvent de disposer d'un iPad à la
place du cortex, le cerveau est un outil idéal. Il est normal que
certains invertébrés, élevés depuis tout petits dans un monde
numérique, gavés de télévision et de jeux vidéos, ne puissent
penser autrement – ils sont perdus, à tout jamais, et nous n'en
ferons pas notre deuil - ; il est beaucoup plus grave, et plus
surprenant, que des figures éminentes du monde intellectuel fassent
l'apologie, si ce n'est la propagande, de ce système débilitant.
Que Michel Serres
s'extasie devant ces nouveaux outils, et envie cette génération qui
est la nôtre, la surnommant affectueusement « Petite
Poucette » (faisant allusion au fait que le centre névralgique
de l'activité de l'humain ne soit plus situé au niveau du cerveau
mais au niveau du pouce) laisse rêveur. Il est vrai que, pour ce
genre d'augustes vieillards, la vue d'un écran, et l'infini des
possibles qu'il semble offrir puisse paraître prodigieux ; mais
que les facultés critiques soient à ce point atteintes est tout
bonnement fantastique. On peut pousser cette logique obscène
jusqu'au bout, et se dire qu'après tout, il ne sert à rien d'avoir
un vocabulaire de plus de trois cent mots ; au diable les
synonymes ; fi de la complexité ; trois cent mots
suffisent amplement pour s'exprimer, et si on en veut plus, il suffit d'aller sur Wikipedia
pour en trouver de nouveaux. Il suffira de balbutier trois mots dans son
iPhone, et ce dernier se chargera d'en faire une phrase complète ;
plus besoin de les mettre dans l'ordre, le logiciel s'en chargera
tout seul ; et puis après tout, pourquoi se soucier de
l’orthographe, puisque mon logiciel de traitement de texte corrige
les fautes tout seul ? Bienvenue dans la novlangue améliorée
de George Orwell. Et puis viendra un jour où le réseau sera
déconnecté, et ces grands couillons se regarderont avec des yeux
ronds sans savoir quoi faire ; ils émettront de vagues borborygmes
qui ne refléteront en rien leur pensée (cela étant, le drame ne
sera pas bien grand, puisque de pensée, ils n'auront plus,
cannibalisés qu'ils seront par tous leurs bidules numériques, de
Google Map à Twitter, en passant par Youtube et ses vidéos de
chats). Le véritable problème, c'est en fait que des
personnes telles que Michel Serres, éminents intellectuels,
disposent d'une masse de connaissances qui les met à l'abri du
besoin ; ils ont une culture telle qu'ils peuvent profiter à la fois
des avantages de celle-ci, mais également mettre à profit les
possibilités offertes par les outils numériques. Notre nouvelle
génération le peut-elle ? Le risque est très grand, il me semble,
que la mémoire externalisée phagocyte cette mémoire interne qui
est indispensable ; qu'elle se substitue complètement à elle, de
manière irrémédiable.
Diane Arbus, Enfants handicapés |
Tout
cela me rappelle cette histoire de la blonde qui passait son temps
avec des écouteurs sur la tête. Elle ne les enlevait jamais. Ses
amis lui demandaient pourquoi, mais elle répondait toujours
évasivement, parvenant à se dérober. Et puis un jour, pour rire,
ses amis décident de les lui ôter pour découvrir ce qu'elle peut
bien écouter, 24 heures sur 24. La voilà tout à coup saisie de
convulsions ; elle hoquette, elle tremble, elle devient rouge,
puis bleue, ses traits se tétanisent, enfin elle tombe au sol,
inerte. Elle est morte ; ses amis sont terrifiés. Et puis l'un d'eux
met les écouteurs sur sa tête, et il entend :
« Inspirez...... Expirez......... Inspirez.......
Expirez...... »
Bientôt nous risquons fort d'être comme cette blonde, reposant au sol, inanimés.
La culture sera morte, et nous avec.
Bientôt nous risquons fort d'être comme cette blonde, reposant au sol, inanimés.
La culture sera morte, et nous avec.
Pour lire l'entretien de Michel Serres dans Libération :
http://www.liberation.fr/culture/01012357658-petite-poucette-la-generation-mutante
http://culturevisuelle.org/totem/1680
RépondreSupprimerInternet nous rend-il plus intelligents ? Un article à lire, les commentaires aussi.
Sans avoir besoin de débrancher internet, les récents articles sur wikipédia ou autres outils du web mettent suffisamment en lumière les problèmes que peuvent poser une dépendance trop forte à internet : http://www.arretsurimages.net/vite.php?id=14689
RépondreSupprimerhttp://www.slate.fr/story/63219/youtube-innocent
Enfin, je pense effectivement que ce genre d'intellectuels (type Michaud, Gunthert...)aime à se rajeunir, à jouer aux dernières modes, à soutenir des paradoxes contre les cercles de l’intelligentsia en se donnant des airs populaires.
L'analogie avec la blague de la blonde est plutôt bien trouvée.
RépondreSupprimerBaby fait le buzz, comme toujours !
RépondreSupprimerA quand la suite ?
La suite vendredi à 18 heures.
Supprimerhttp://www.rue89.com/2012/11/09/dans-les-trous-noirs-de-wikipedia-236896
RépondreSupprimerJe mets mon grain aussi :
RépondreSupprimerhttp://www.franceinter.fr/emission-la-tete-au-carre-limpact-des-nouvelles-technologies-sur-le-cerveau