"En 1958, Yves Klein fait
l'exposition du vide : vernissage des murs nus de la galerie Iris
Clert à Paris. En 1960, Arman remplit à ras bord la
même galerie avec les ustensiles les plus divers . Au Salon de mai 1960,
la presse parle d'un attentat à la sculpture lorsque César
expose trois compressions de voitures, prismes d'une tonne chacun. En 1971,
devant la cathédrale de Milan, Tinguely dévoile un
phallus doré de 5 mètres, flanqué à sa base de deux sphères
symétriques : phallus qui crache des fumées noires et se détruit dans
les flammes.
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Arman - Lavie à pleines dents |
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Des «
happenings »
apparaissent, événements plus ou moins préparés, plus ou moins complexes qui
peuvent avoir lieu dans une galerie, un atelier d'artiste, un magasin, un
théâtre, un hangar, et qui se produisent devant un public plus ou moins large.
Il est en général demandé à tous de devenir acteurs, de refuser la situation de
« regardeurs ».
Des actes divers sont proposés.
Piero Manzoni fabrique une série numérotée de boîtes de conserve contenant de
« la merde d'artiste » : dérision du respect qui entoure tout ce
que « fait » un créateur.
Claes Oldenburg
annonce comme « sculpture en négatif » un trou qu'il fait creuser,
puis remplir, à New York. Certains s'attaquent à la toile, la perforent, lui
imposent des formes inaccoutumées, la remplacent par des affiches lacérées. En
déformant un cadre à charnières, Pieter Engels déchire la toile. D'autres
refusent les « supports » traditionnels et travaillent la terre et l'eau.
En 1969 (le projet date de 1964), Marinus Boezem fait jaillir du creux d'une
dune une trombe de sable à l'aide d'un système de ventilation. En 1968, Walter
de Maria trace à la craie deux lignes parallèles dans le désert de Mohave en
Californie. Denis Oppenheim répand dans la mer du colorant rouge ; puis de
l'essence et y met le feu. Il laisse flotter au fond de l'eau une couverture et
photographie les formes qu'elle prend. Mike Heizer fait creuser cinq petites
dépressions rectangulaires ; chaque année, une photo sera prise jusqu'à
disparition complète de la « pièce ».
De telles
« œuvres » s'opposent à l'espace même du musée ou de la
galerie : elles n'y entrent pas directement, mais seulement par leur
reproduction photographique.
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Dennis Oppenheim - Reading position for second degree burn - 1970 |
Appartiennent encore à cet étrange et impossible musée des
œuvres dont la matérialité est réduite à l'extrême. Bernar Venet (galerie
Templon, Paris, 1971) présente une série d'agrandissements photographiques d'un
livre de grammaire dont il n'est pas l'auteur.
Edward
Kienholz a créé, de 1963 à 1967 (en même temps que ses
« environnements » plus connus), des « concept tableaux ».
Ces « concept tableaux » se présentent sous forme d'une plaque sur
laquelle est gravé le titre de l'œuvre ; un texte l'accompagne qui décrit
l'œuvre et indique le prix du projet et le coût de sa réalisation. Œuvres en
deux temps (le projet et sa possible réalisation matérielle), les
« concept tableaux » sont très différents de ce qu'on a appelé l'art
conceptuel (cf. la revue
V H 101, n
o 3).
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Ben |
L'attitude du Niçois
Ben, ses idées
constituent un exemple remarquable des propositions subversives qui animent
l'activité esthétique des années soixante. Parmi des centaines d'autres
suggestions, on peut noter : « Objets suspendus à une corde à linge
(1957)... Un miroir titré portrait (1961)... Je me réserve le droit de
considérer cette idée aussi inintéressante dans l'avenir qu'elle l'est dans le
présent (1962)... Créations secrètes : je notais une dizaine d'idées que
je gardais secrètes (1962)... J'ai réalisé en 1962 deux œuvres identiques, j'en
ai daté une de 1952 et l'autre de 1966 (1962)... Vendre des idées
50 francs l'une. Acheter des idées 10 francs l'une (1962)... Avoir
une idée et l'oublier (1963)... J'ai expédié 200 revues
La Nature avec
le tampon « L'art c'est ». Exemple : l'art c'est le Pacifique et
l'océan Indien, l'art c'est la vie sexuelle des chimpanzés (1964)... Rechercher
quelque chose qui ne soit pas l'art et ne pas le signer (1965)... Rechercher
quelque chose qui ne soit pas de l'art pour le signer (1965)... Chaque fois
qu'un artiste meurt, envoyer aux autres artistes une petite carte avec le texte
suivant :
Un de moins : ouf ! (1965)... etc. » Par
la dérision, par le contradictoire, par une accumulation clownesque de gags
esthétiques, Ben mène ainsi une dénonciation impitoyable de toutes les
croyances et mœurs picturales et, en même temps, une critique de sa propre
activité."
Extrait de l'article "Non-art", Universalis 2011, écrit par Gilbert Lascault
Bon, et alors ?
RépondreSupprimerEh bien oui, c'est une présentation, et juste une présentation. Mais un lecteur un peu habitué à nos pages aura rapidement fait le lien avec des articles précédant et problématisant la notion d’œuvre...
RépondreSupprimerBah il me semblait que les articles précédents s'intéressaient plutôt à l'art... A moins que le non-art soit encore de l'art, le non-chien encore un chien et le cassoulet, encore de la choucroute ! Je me permets de rappeler qu'un des premiers axiomes de la logique c'est que non-A n'est pas égal à A. Mais après tout l'art et le non-art n'ont pas à être logiques. Ils ne sont peut-être pas soumis aux mêmes impératifs d'intelligibilité que tout le reste des activités humaines.
RépondreSupprimerCeci dit, cela pose quand même un léger problème de définition du domaine considéré, ce me semble.
Pour ma part, je propose qu'on accorde à Ben que ce qu'il fait n'est pas de l'art mais du non-art. Et que PAR CONSEQUENT on le vende en super-marché ET PAS dans les galeries. Qu'on le montre en cours de récréation, ET PAS dans les musées. Sauf à penser que ce qu'il dit n'est rien - auquel cas nous en serions tous réduits à considérer non pas ce qu'il dit mais simplement ce qu'il fait, ce qui nous conduirait sans doute trop loin...
C'est justement la question - vertigineuse - que pose cette présentation et, plus largement, tout l'art postmoderniste (cf supra) : si, dans un sens, la logique semble indiquer implacablement que ces démonstrations ne sont pas de l'art, il me parait difficile d'écrire une histoire de l'art sans les conceptuels, les minimalistes ; difficile de dire que Tinguely, Klein, Venet, César ne sont pas des artistes.
RépondreSupprimerLeurs démarches dénotent une sincérité et un questionnement artistique incroyable ; le refus de l'art et le refus de l’œuvre se sont inscrits dans des démarches de démocratisation et d'ouverture de l'art. L'exemple de Ben, et votre attitude envers lui, illustre bien pour moi l'aporie de cette voie d'engagement. C'est pour cela que j'étudie "le retour à l’œuvre".
Pour autant, il ne faut pas, à mon avis, mépriser ces artistes et ces démarches dont on fait tant de copies et de parodies aujourd'hui.
Le Dadaisme est aussi souvent defini comme un anti-art, et le surrealisme garde des restes de cela dans l'idee que l'acte artistique est dans la vie et non pas simplement dans une oeuvre.
RépondreSupprimerPuis il y a le ready made et l'art conceptuel qui sont des etapes assez fondamentales parce qu'ils questionnent l'idee de l'aura d'une oeuvre d'art (et dans des termes interessants parce qu'en quoi une oeuvre originale peut elle etre vue comme meilleure qu'une copie parfaite ?) et la question de sa materialite, celle du but de l'art aussi.
En Angleterre, il y a un groupe qui a reagi a l'art conceptuel des Young British Artists avec un manifeste (le manifeste stuckiste) et qui contient un interessant passage :
"Art that has to be in a gallery to be art isn’t art."