samedi 21 avril 2012

Le mouvement dans l'art paléolithique 2/4


Il interroge, dans un second temps, le rôle des reliefs naturels dans la représentations des figures, l'appréciation des reliefs étant essentielle à la compréhension de l'art des cavernes (référons nous, par exemple, au cheval de Pech-Merle et à la notion de paroi participante). Il s'intéresse également à l'environnement figuratif des animaux représentés en mouvement. Selon l'auteur, c'est un « concept qui englobe ici la notion de panneau, défini comme une portion de paroi bien délimitée où sont disposées plusieurs unités graphiques dont l'association semble intentionnelle, et celle d'ensemble graphique lorsque nous ressentons une réelle volonté de regrouper plusieurs panneaux dans une même zone de la cavité, comme pour le Salon Noir à Niaux ou la Salle des Taureaux de Lascaux. »[1] M. Azéma cite G. Sauvet à propos de cette notion d'ensemble graphique qui est pour lui « nécessairement plus subjective que celle du panneau, car déjà proche de l'interprétation, elle permet d'introduire des hypothèses relatives à la structure du discours paléolithique. Elle permettra par exemple de prendre en considération des ensembles disjoints, c'est-à-dire constitués de panneaux séparés. »
Pour faciliter la compréhension de l'analyse, M. Azéma considère qu'une figure est isolée lorsque aucun autre animal n'est présent à proximité de la figure animée c'est-à-dire sur le même panneau ou le même ensemble graphique. Dans le cas contraire, il utilise le terme d'assemblages, faisant référence à A. Leroi-Gourhan : « il a été entendu par assemblage les groupes de figures entre lesquelles un lien significatif a pu exister ».[2]

La question du style sera aussi développée, car suivant les époques, des déformations artificielles du corps peuvent être perçues à tort comme des indices d'animation ; le degré de réalisme de l'image diffère souvent selon les cultures. Un des objectifs de M.Azéma est « de comparer nos résultats avec ceux d'A. Leroi-Gourhan qui, dans son hypothèse d'une évolution linéaire des styles, faisait de l'animation un critère de 'progrès' graphique : dans sa classification stylistique, l'animation est nulle sur les figures de style I, c'est-à-dire aux origines de l'art synonyme de schématisme, puis apparaît progressivement (style II, III) et devient de plus en plus fréquente en fonction de la lente évolution des formes vers le réalisme qui caractérise le style IV et atteint des sommets à la fin du Magdalénien. » [3]

En dernier lieu, il met en évidence des conventions graphiques dans la représentation du mouvement qui jouent un rôle décisif dans la création d'interactions et de narration. Nous développerons cette notion dans la troisième partie de notre étude.


            Le travail proposé par Azema constitue indubitablement un inventaire exhaustif des représentations d'animaux en mouvement, datant du paléolithique supérieur français. Son recensement nous permet de mieux appréhender l'art des cavernes, d'un point de vue strictement scientifique. Toutefois, on ne peut qu'être bouleversé par ces témoignages – qui ne semblent pourtant pas pouvoir être soumis aux codes d'interprétations traditionnels – qui continuent à nous fasciner et nous questionner. Comment interpréter ces témoignages ? À partir d'un travail de classement et de répertorisation, le chercheur réussit à établir des conventions, des codes capables de guider notre perception de l'art préhistorique. Il soumet par exemple le mouvement à différents niveaux de lecture :
- La figure isolée : animal unique qui détient dans sa posture une suggestion de mouvement
- Le panneau : qui constitue un bloc réunissant plusieurs figures isolées qui donne l'illusion d'une décomposition de mouvement d'une manière très forte
- La grotte : considérée dans son ensemble et qui serait un « instrument » de mouvement, grâce à l'usage de la torche, l'homme crée le mouvement par le geste à l'intérieur d'un espace statique.
La représentation d'un mouvement pose le problème de la perception visuelle, ou comment, à partir d'une image figée peut-on rendre l'illusion du mouvement ? L'œil humain peut restituer les mouvements lents, mais il lui est quasiment impossible de restituer l'impression d'un mouvement rapide. Ce qui conduit nécessairement à la création d'images idéalisées.
Selon M. Azéma, l'homme préhistorique a réussi à mettre en place des conventions graphiques propres à la représentation des allures :
- Les allures lentes (I et II)
- Les allures rapides (III à V)
Ces conventions se développent à travers différentes étapes de l'allure de l'animal : le pas, le pas rapide, le trot, et le galop. L'auteur constate qu'une grande majorité des représentations cherche à figurer le galop et les allures rapides ce qui témoigne certainement d'une volonté, chez Cro-Magnon, de dépasser les limites de notre perception rétinienne. Mais ces conventions ne sont pas toujours scientifiquement exactes, du fait de notre perception imparfaite du mouvement rapide. Il est intéressant de noter que ces mêmes conventions, bien qu'inexactes, persistent bien au delà de Cro-Magnon. Ainsi, le « galop volant » – phase de suspension idéalisée de l'allure où les membres se trouvent en extension de part et d'autre du tronc – n'existe pas ; la seule position se rapprochant de cette figure pourrait être le saut.
Il est intéressant de noter que, comme le souligne à juste titre M. Azéma, ces conventions continuent de nos jours à être utilisées, et ce malgré l'invention de la photographie et du cinéma, qui permettent pourtant de décrypter les mouvements.
On pourrait dès lors supposer que notre perception du mouvement étant tellement imparfaite, notre esprit a assimilé des figures capables de suggérer le mouvement, des conventions graphiques qui, bien qu'approximatives, tendent à devenir des symboles universels.
Outre les codes qui régissent la représentation des allures, M. Azéma expose deux procédés graphiques permettant de décomposer le mouvement.

« Dans l'objectif de donner vie aux animaux qu'il représente, l'artiste paléolithique a quelques fois utilisé un procédé graphique, hautement élaboré d'un point de vue conceptuel, permettant de décomposer le mouvement en plusieurs graphies et d'introduire, artificiellement, une nouvelle dimension dans les représentations, la dimension du temps. […] nous avons défini une terminologie visant à classer les figures, traitées ainsi, en deux catégories :
catégorie 1 : la décomposition du mouvement par superposition d'images successives
catégorie 2 : la décomposition du mouvement par juxtaposition d'images successives.»[4]

[1] AZÉMA Marc, L'art des cavernes en action, t.I, Les animaux modèles. Aspect, locomotion, comportement, Errance, Paris, 2010, p.43
[2] Ibid., p.44 
[3]  AZÉMA Marc, L'art des cavernes en action, t.II, Les animaux figurés. Animation et mouvement, l'illusion de la vie, Errance, Paris, 2010, p.12
[4] Ibid., p.421 

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