Il
interroge, dans un second temps, le rôle des reliefs naturels dans la
représentations des figures, l'appréciation des reliefs étant essentielle à la
compréhension de l'art des cavernes (référons nous, par exemple, au cheval de
Pech-Merle et à la notion de paroi participante). Il s'intéresse également à l'environnement
figuratif des animaux représentés en mouvement. Selon l'auteur, c'est un « concept
qui englobe ici la notion de panneau, défini comme une portion de paroi bien
délimitée où sont disposées plusieurs unités graphiques dont l'association
semble intentionnelle, et celle d'ensemble graphique lorsque nous ressentons
une réelle volonté de regrouper plusieurs panneaux dans une même zone de la
cavité, comme pour le Salon Noir à Niaux ou la Salle des Taureaux de
Lascaux. »[1] M. Azéma cite G.
Sauvet à propos de cette notion d'ensemble graphique qui est pour lui « nécessairement
plus subjective que celle du panneau, car déjà proche de l'interprétation, elle
permet d'introduire des hypothèses relatives à la structure du discours
paléolithique. Elle permettra par exemple de prendre en considération des
ensembles disjoints, c'est-à-dire constitués de panneaux séparés. »
Pour
faciliter la compréhension de l'analyse, M. Azéma considère qu'une figure est isolée
lorsque aucun autre animal n'est présent à proximité de la figure animée
c'est-à-dire sur le même panneau ou le même ensemble graphique. Dans le cas
contraire, il utilise le terme d'assemblages, faisant référence à A.
Leroi-Gourhan : « il a été entendu par assemblage les groupes de
figures entre lesquelles un lien significatif a pu exister ».[2]
La
question du style sera aussi développée, car suivant les époques, des
déformations artificielles du corps peuvent être perçues à tort comme des
indices d'animation ; le degré de réalisme de l'image diffère souvent
selon les cultures. Un des objectifs de M.Azéma est « de comparer nos
résultats avec ceux d'A. Leroi-Gourhan qui, dans son hypothèse d'une évolution
linéaire des styles, faisait de l'animation un critère de 'progrès'
graphique : dans sa classification stylistique, l'animation est nulle sur
les figures de style I, c'est-à-dire aux origines de l'art synonyme de
schématisme, puis apparaît progressivement (style II, III) et devient de plus
en plus fréquente en fonction de la lente évolution des formes vers le réalisme
qui caractérise le style IV et atteint des sommets à la fin du
Magdalénien. » [3]
En
dernier lieu, il met en évidence des conventions graphiques dans la
représentation du mouvement qui jouent un rôle décisif dans la création
d'interactions et de narration. Nous développerons cette notion dans la troisième
partie de notre étude.
Le travail proposé par Azema
constitue indubitablement un inventaire exhaustif des représentations d'animaux
en mouvement, datant du paléolithique supérieur français. Son recensement nous
permet de mieux appréhender l'art des cavernes, d'un point de vue strictement
scientifique. Toutefois, on ne peut qu'être bouleversé par ces témoignages –
qui ne semblent pourtant pas pouvoir être soumis aux codes d'interprétations
traditionnels – qui continuent à nous fasciner et nous questionner. Comment
interpréter ces témoignages ? À partir d'un travail de classement et de
répertorisation, le chercheur réussit à établir des conventions, des codes
capables de guider notre perception de l'art préhistorique. Il soumet par
exemple le mouvement à différents niveaux de lecture :
- La figure isolée : animal unique qui détient dans sa posture une
suggestion de mouvement
- Le panneau : qui constitue un bloc réunissant plusieurs figures isolées
qui donne l'illusion d'une décomposition de mouvement d'une manière très forte
- La grotte : considérée dans son ensemble et qui serait un
« instrument » de mouvement, grâce à l'usage de la torche, l'homme
crée le mouvement par le geste à l'intérieur d'un espace statique.
La
représentation d'un mouvement pose le problème de la perception visuelle, ou
comment, à partir d'une image figée peut-on rendre l'illusion du
mouvement ? L'œil humain peut restituer les mouvements lents, mais il lui
est quasiment impossible de restituer l'impression d'un mouvement rapide. Ce
qui conduit nécessairement à la création d'images idéalisées.
Selon
M. Azéma, l'homme préhistorique a réussi à mettre en place des conventions
graphiques propres à la représentation des allures :
- Les allures lentes (I et II)
- Les allures rapides (III à V)
Ces
conventions se développent à travers différentes étapes de l'allure de
l'animal : le pas, le pas rapide, le trot, et le galop. L'auteur constate
qu'une grande majorité des représentations cherche à figurer le galop et les
allures rapides ce qui témoigne certainement d'une volonté, chez Cro-Magnon, de
dépasser les limites de notre perception rétinienne. Mais ces conventions ne
sont pas toujours scientifiquement exactes, du fait de notre perception
imparfaite du mouvement rapide. Il est intéressant de noter que ces mêmes
conventions, bien qu'inexactes, persistent bien au delà de Cro-Magnon. Ainsi,
le « galop volant » – phase de suspension idéalisée de l'allure où
les membres se trouvent en extension de part et d'autre du tronc – n'existe
pas ; la seule position se rapprochant de cette figure pourrait être le
saut.
Il est intéressant de noter que, comme le souligne à juste
titre M. Azéma, ces conventions continuent de nos jours à être utilisées, et ce
malgré l'invention de la photographie et du cinéma, qui permettent pourtant de
décrypter les mouvements.
On pourrait dès lors supposer que notre perception du
mouvement étant tellement imparfaite, notre esprit a assimilé des figures
capables de suggérer le mouvement, des conventions graphiques qui, bien
qu'approximatives, tendent à devenir des symboles universels.
Outre les codes qui régissent la représentation des
allures, M. Azéma expose deux procédés graphiques permettant de décomposer le
mouvement.
« Dans l'objectif de donner vie aux animaux qu'il
représente, l'artiste paléolithique a quelques fois utilisé un procédé
graphique, hautement élaboré d'un point de vue conceptuel, permettant de
décomposer le mouvement en plusieurs graphies et d'introduire,
artificiellement, une nouvelle dimension dans les représentations, la dimension
du temps. […] nous avons défini une terminologie visant à classer les figures,
traitées ainsi, en deux catégories :
catégorie 1 : la décomposition du mouvement par
superposition d'images successives
catégorie 2 : la décomposition du mouvement par juxtaposition
d'images successives.»[4]
[1] AZÉMA Marc, L'art des cavernes en action, t.I, Les animaux modèles. Aspect, locomotion, comportement, Errance, Paris, 2010, p.43
[2] Ibid., p.44
[3] AZÉMA Marc, L'art des cavernes en action, t.II, Les animaux figurés. Animation et mouvement, l'illusion de la vie, Errance, Paris, 2010, p.12
[4] Ibid., p.421
[1] AZÉMA Marc, L'art des cavernes en action, t.I, Les animaux modèles. Aspect, locomotion, comportement, Errance, Paris, 2010, p.43
[2] Ibid., p.44
[3] AZÉMA Marc, L'art des cavernes en action, t.II, Les animaux figurés. Animation et mouvement, l'illusion de la vie, Errance, Paris, 2010, p.12
[4] Ibid., p.421
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