Pélican, Étienne-Jules Marey, vers 1882
Aujourd'hui, à l'aube du XXIe
siècle, l'homme est envahi de représentations visuelles animées. Les mouvements
sont toujours représentés avec plus de fidélité et rendus accessibles par la
haute définition, les progrès de la 3D et des images de synthèse. Autant dire
que le fossé nous séparant des peintures rupestres n'a peut-être jamais semblé
aussi grand. Pourtant, sans jamais chercher à renier les analyses proposées par
les autres archéologues sur l'art des premiers hommes, M. Azéma réussit à nous
donner un éclairage nouveau sur l'art préhistorique. L'hypothèse de la création
de figures en mouvement qu'il nous soumet est un questionnement qui n'est en
aucun cas incompatible avec d'autres
interprétations. On peut notamment penser à la magie de la chasse, au totémisme
ou au chamanisme respectivement évoqués par l'abbé Breuil,
Gabriel de Mortillet, et par Jean Clottes dans leurs travaux. M. Azéma imagine
que les représentations figurées sur les parois des cavernes servaient
peut-être d'acteurs à des récits mythologiques de la tribu. Ou bien la caverne
était-elle peut-être pour nos ancêtres un monde imaginaire, une réalité
virtuelle, dans laquelle vivait ce bestiaire fictif ? Au delà de la
fascination et de l'émotion que nous procure la confrontation à l'art
préhistorique, l'auteur salue dans ces représentations la tentative audacieuse
de parvenir à restituer l'illusion du mouvement. A. Leroi-Gourhan, avant les
recherches menées par M. Azéma, avait déjà souligné l'importance des figures
animées dans « L'art pariétal, langage de la préhistoire » : « L'animation,
comprise ici comme la traduction d'une action par une figure animée dans une
attitude significative, est le seul procédé qui permette de rendre compte du
déroulement du temps »[1] Le
thaumatrope, un jouet optique dont l'invention est généralement
associée au XVIIe siècle, relève par exemple du phénomène de
l'animation. Il est intéressant de savoir que M. Azéma a, dans ses travaux,
découvert un prototype de « thaumatrope préhistorique », reposant sur le principe d'un dessin représenté de
chaque côté d'une rondelle d'os perforée qui, reliée à deux ficelles, pouvait
par une action mécanique de rotation figurer un mouvement. Comme si les hommes
préhistoriques savaient déjà d'amuser du phénomène de persistance rétinienne.
Il convient d'insister sur le fait que la traduction en image du mouvement des
êtres vivants est le seul procédé capable de rendre compte du déroulement du
temps. En utilisant les notions du juxtaposition ou de superposition pour lire
les peinture rupestres, M. Azéma rappelle à notre mémoire des procédés
largement utilisés par les artistes de l'époque moderne. Marcel Duchamp, dans
son « Nu descendant un escalier »
(1912), propose lui aussi une évocation du mouvement par
la superposition d'images successives. Le futurisme aborde aussi la
représentation d'un geste animé ; c'est par exemple le cas de Giacomo
Balla dans « Le vol des hirondelles » (1913), où le peintre restitue par la
juxtaposition une volée d'hirondelles tourbillonnantes. Balla recréé ici
l'impression de vitesse, de mouvement en peignant ces oiseaux dans un ordre
précis, l'un derrière l'autre. Dans son travail, il reprend ce que la
chronophotographie avait rendu visible. Dans « La dynamique d'un chien
en laisse » (1912),
l'artiste Turinois exploite le procédé de superposition.
Dynamisme d'un chien en laisse, Giacomo Balla, 1912
Quand, en 1878, apparaît la chronophotographie – technique photographique qui permet de prendre une succession de photos à intervalles réguliers permettant d'étudier la décomposition du mouvement de l'objet photographié – il est amusant de constater que le sujet majeur choisi par Eadweard Muybridge est, à l'instar de ses ancêtres préhistoriques, la figure d'un cheval au galop. Lié au développement de la photographie, la naissance du cinéma , dans la seconde moitié du XIXe siècle, repose sur un système d'images éclairées que l'on projette sur un écran. Là encore, le fossé nous séparant de la période préhistorique n'est sûrement pas aussi grand qu'on pourrait le penser : au lieu de projeter une image sur une surface, l'homme préhistorique savait éclairer, au moyen de torches, la surface peinte et on peut supposer que l'illusion d'une animation des figures animales tenait à la vitesse du mouvement de la torche. Comme si toute la grotte ornée prenait vie. Finalement, le travail d'Azéma ne nous rappelle t-il pas à notre condition fondamentale d'humain ? De tous temps, l'être humain a été confronté à un environnement spatial et à une dimension temporelle qu'il cherchait à mieux comprendre. Comme Léonard de Vinci qui en décomposant le vol d'un oiseau, cherchait à maîtriser le mouvement de son projet de machine volante, l'homme préhistorique tentait lui aussi de s'approprier les mouvements de son milieu. En essayant d'animer la course d'un cheval sur les murs d'une grotte, n'était-il pas aux prises avec l'impossibilité universelle de maîtriser les notions de temps, d'espace et de vitesse ?
Course de chevaux à Epsom, Théodore Géricault, 1821
[1] LEROI-GOURHAN André, L'art pariétal, langage de la préhistoire, Jerôme Million, L'homme des origines, Grenoble, 2009, p.324
Dynamisme d'un chien en laisse, Giacomo Balla, 1912
Quand, en 1878, apparaît la chronophotographie – technique photographique qui permet de prendre une succession de photos à intervalles réguliers permettant d'étudier la décomposition du mouvement de l'objet photographié – il est amusant de constater que le sujet majeur choisi par Eadweard Muybridge est, à l'instar de ses ancêtres préhistoriques, la figure d'un cheval au galop. Lié au développement de la photographie, la naissance du cinéma , dans la seconde moitié du XIXe siècle, repose sur un système d'images éclairées que l'on projette sur un écran. Là encore, le fossé nous séparant de la période préhistorique n'est sûrement pas aussi grand qu'on pourrait le penser : au lieu de projeter une image sur une surface, l'homme préhistorique savait éclairer, au moyen de torches, la surface peinte et on peut supposer que l'illusion d'une animation des figures animales tenait à la vitesse du mouvement de la torche. Comme si toute la grotte ornée prenait vie. Finalement, le travail d'Azéma ne nous rappelle t-il pas à notre condition fondamentale d'humain ? De tous temps, l'être humain a été confronté à un environnement spatial et à une dimension temporelle qu'il cherchait à mieux comprendre. Comme Léonard de Vinci qui en décomposant le vol d'un oiseau, cherchait à maîtriser le mouvement de son projet de machine volante, l'homme préhistorique tentait lui aussi de s'approprier les mouvements de son milieu. En essayant d'animer la course d'un cheval sur les murs d'une grotte, n'était-il pas aux prises avec l'impossibilité universelle de maîtriser les notions de temps, d'espace et de vitesse ?
Course de chevaux à Epsom, Théodore Géricault, 1821
[1] LEROI-GOURHAN André, L'art pariétal, langage de la préhistoire, Jerôme Million, L'homme des origines, Grenoble, 2009, p.324
Un ouvrage fameux traite du mouvement dans les arts visuels : "L'art en théorie et en action" de Nelson Goodman.
RépondreSupprimerAvis aux amateurs.