vendredi 3 avril 2015

De la psychanalyse considérée comme un des Beaux-Arts

"Notre malade commence peu à peu à comprendre que c'est à titre de symbole génital féminin qu'elle ne supportait pas, pendant la nuit, la présence de la pendule dans sa chambre. La pendule, dont nous connaissons encore d'autres interprétations symboliques, assume ce rôle de symbole génital féminin à cause de la périodicité de son fonctionnement qui s'accomplit à des intervalles égaux. Une femme peut souvent se vanter en disant que ses menstrues s'accomplissent avec la régularité d'une pendule. Mais ce que notre malade craignait avant tout, c'était d'être troublée dans son sommeil par le tic-tac de la pendule. Ce tic-tac peut être considéré comme une représentation symbolique des battements du clitoris lors de l'excitation sexuelle. Elle était en effet souvent réveillée par cette sensation pénible, et c'est la crainte de l'érection qui lui avait fait écarter de son voisinage, pendant la nuit, toutes les pendules et montres en marche. 



Pots à fleurs et vase sont, comme tous les récipients, également des symboles féminins. Aussi la crainte de les exposer pendant la nuit à tomber et se briser n'est-elle pas tout à fait dépourvue de sens. Vous connaissez tous cette coutume très répandue qui consiste à briser pendant les fiançailles, un vase ou une assiette. Chacun des assistants s'en approprie un fragment, ce que nous devons considérer, en nous plaçant du point de vue d'une organisation matrimoniale pré-monogamique, comme un renoncement aux droits que chacun pouvait ou croyait avoir sur la fiancée. 



Brugel l'Ancien, La noce paysanne,
1568, 114 x 164 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne

À cette partie de son cérémonial se rattachaient, chez notre jeune fille, un souvenir et plusieurs idées. Étant enfant, elle tomba, pendant qu'elle avait à la main un vase en verre ou en terre, et se fit au doigt une blessure qui saigna abondamment.  Devenue jeune fille et ayant eu connaissance des faits se rattachant aux relations sexuelles, elle fut obsédée par la crainte angoissante de ne pas saigner pendant sa nuit de noces, ce qui ferait naître dans l'esprit de son mari des doutes quant à sa virginité. Ses précautions contre le bris des vases constituent donc une sorte de protestation contre tout le complexe en rapport avec la virginité et l'hémorragie consécutive aux premiers rapports sexuels, une protestation aussi bien contre la crainte de saigner que contre la crainte opposée, celle de ne pas saigner. Quant aux précautions contre le bruit, auxquelles elle subordonnait ces mesures, elles n'avaient rien, ou à peu près rien, à voir avec celles-ci."

(Sigmund Freud, Théorie générale des névroses, in Introduction à la psychanalyse, éd. Payot) 

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