dimanche 25 septembre 2011

Düsseldorf 1 : Bernd et Hilla Becher

L’Ecole de Düsseldorf est mondialement connue, elle est aussi aujourd’hui synonyme d’une photographie objectivante, d’inspiration documentaire. Elle est la preuve vivante par excellence que la photographie est, définitivement, entrée dans le monde de l’art, dans l’esprit de l’art contemporain, et sur son marché. Cela est assez paradoxal et a pu attirer les foudres de certains critiques (notamment Dominique Baqué) sur les émules du couple Becher qui, à l’origine, cherchait plutôt du côté du document que du côté de l’art, ou bien du côté de l’art conceptuel ou minimaliste. Leurs élèves ont pu suivre des voies moins radicales et peut-être plus commerciales, mais pas forcément, quoi qu’on en dise, moins intéressantes. Nous dessinerons ici un petit panorama de cette école à partir du texte de Stefan Gronert aux éditions Hazan.

Bernd et Hilla Becher ont durablement influencé la photographie, notamment par la pratique systématique de la série, pratique non pas inédite mais qui trouvait ici sa justification la plus convaincante du point de vue de l’histoire de l’art : celle de la sérialité, inspiré des mouvements minimaux et conceptuels, contre l’aura de l’œuvre d’art et comme relevé objectif de la réalité. Paradoxalement, cette démarche anti-artistique typique des années 60-70 est célébré comme l’exemple même de l’entrée de la photographie dans l’art.
L’intérêt que soulève la photographie à la fin des années 60 doit sans doute être mis en rapport avec la crise affectant au même moment la réception de la peinture abstraite qui dominait à ce moment-là ; cette crise était aussi une crise de la fonction esthétique de l’art.
Avec donc l’arrivée de l’art minimal et conceptuel, les Becher commencèrent à expérimenter de nouvelles voies dans la photographie. Le mouvement qui dominait alors en Allemagne était la photographie subjective, sous l’égide d’Otto Steinert ; presque diamétralement opposés, les Becher initièrent une photo « objective », « anonyme » : « Vous devez être honnête envers votre objet et ne pas le détruire avec votre subjectivité, tout en restant impliqué », déclarait Bernd Becher(1). Cette différence est en effet avant tout politique : par l’inventaire raisonné des objets industriels en Allemagne, les Becher restés « les pieds dans le réel », au contraire de Steinert dont ils rattachaient la subjectivité à une fuite puérile du passé, typique de l’art allemand de l’après-guerre.
Cet inventaire rappelle évidemment l’œuvre inachevée d’August Sander, mais aussi les travaux d’Atget sur la ville ou de Baldus en Allemagne, les ready-made de Duchamp. Le principe de la série dont nous avons parlé plus haut est à mettre en relation avec la remise en cause du statut de l’œuvre d’art dans l’ère moderne : la série destitue l’œuvre de son titre de « chef d’œuvre » et de sa prétention à être contemplée. Cette conception de la photographie va directement à l’encontre de l’idée la plus répandue dans le monde de la photographie, qui est le dogme de « l’instant décisif » de Cartier-Bresson et montre bien la séparation de plus en plus nette entre un monde de la photographie artistique et un monde de la photographie photographique, quand bien même celle-ci aurait des tendances esthétisantes et qu’on regroupe souvent sous le nom « photographie d’auteur » (à ce sujet, voir le livre de J-F. Chevrier déjà cité).

On ne peut dénier la sincérité et la simplicité de cette démarche au long cours, la pertinence de ce jeu sur le statut ambigu de la photographie. Alors que leur première publication était intitulée, avec un peu de provocation et beaucoup d’intelligence, « Sculptures anonymes » et sous-titrée « Typologie de bâtiments techniques », leurs photographies gagnèrent en 1990 le prix de la sculpture de la Biennale de Venise. En trente ans de photographies, ces archives de l’Allemagne et du monde industriels démontrent que seule la photographie peut relever le défi, si cher à l’art moderne, d’être à la fois mémoire et art, document et monument.




(1) Cité par J-F. Chevrier in Entre les beaux-arts et les médias : photographie et art moderne. L’Arachnéen, 2010, p.69

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