Depuis
la parution, en 1859, de son ouvrage majeur, De l’origine des espèces, Charles Darwin a toujours dit que ses
théories, qui allaient révolutionner les façons scientifiques et populaires de
voir le monde, seraient invérifiables sur le terrain. Pour mémoire, l’hypothèse
de l’évolution darwiniste consiste à dire que les êtres vivants descendent
d’ancêtres communs qui ont ensuite suivi le cours de la « sélection
naturelle ». Ce concept central du darwinisme explique que les traits
physiques qui favorisent la survie d’une espèce voient leur fréquence augmenter
au fur et à mesure des générations[1].
Indémontrables empiriquement, ces hypothèses ne seraient que le fruit d’un
système déductif ; les traces visibles de l’évolution se situant pour Darwin à
une échelle infiniment plus grande que l’échelle humaine, du fait de l’extrême
lenteur du processus. Leur validité est avérée seulement parce qu’elles seules
permettent encore à l’heure actuelle d’expliquer de manière logique et
cohérente la diversité du vivant et les liens de parenté constatés sur les
fossiles.
De nombreuses études ont pourtant rapidement été menées pour confirmer l’hypothèse de Darwin. La plupart se heurtèrent néanmoins aux difficultés anticipées par le scientifique : pour être valide, l’expérience doit réunir une même population qui présente des différences clairement identifiées selon ses individus ; il faut prouver que ces différences sont héréditaires, et que l’on connaisse le mode de transmission ; il faut aussi que l’une des formes différentes soit avantagée « sur le terrain », et que l’on prouve que c’est bien cet avantage qui détermine un changement dans la composition de la population ; il faut enfin que l’étude ait lieu en milieu naturel.
De nombreuses études ont pourtant rapidement été menées pour confirmer l’hypothèse de Darwin. La plupart se heurtèrent néanmoins aux difficultés anticipées par le scientifique : pour être valide, l’expérience doit réunir une même population qui présente des différences clairement identifiées selon ses individus ; il faut prouver que ces différences sont héréditaires, et que l’on connaisse le mode de transmission ; il faut aussi que l’une des formes différentes soit avantagée « sur le terrain », et que l’on prouve que c’est bien cet avantage qui détermine un changement dans la composition de la population ; il faut enfin que l’étude ait lieu en milieu naturel.
Ces
études furent donc toutes vouées à l’échec jusqu’à l’expérience de Kettlewell
dans les années 1950. Cette expérience porta sur une population du phalène du
bouleau (Biston betularia) qui
présente deux formes : la forme claire (typica) et la forme sombre (carbonaria).
L’on observa pour la première fois la forme sombre en 1848 à Manchester puis cette
forme se diffusa partout à travers l’Europe pour qu’en 1890 la forme typique ne
représente plus que 10% en moyenne des populations vivant à proximité des
villes industrielles, tandis qu’elle restait majoritaire en zone rurale.
Deux hypothèses évolutionnistes furent alors proposées : en 1896, Tutt proposa l’idée selon laquelle les formes mélaniques risquaient moins de se faire manger par les oiseaux en zone polluée, les troncs d’arbre ayant perdu leur lichen et étant couvert de suie et, inversement, les formes classiques étaient plus discrètes en zone rurale ; c’est le schéma que reprendra exactement Kettlewell cinquante ans plus tard. Il sera pourtant recruté par Henry Ford, un scientifique anglais, qui proposa une hypothèse un peu différente, en deux temps : les formes sombres seraient plus résistantes à toutes sortes de stress environnementaux et seraient néanmoins plus susceptible d’être mangées par les oiseaux en zone non polluée, du fait de leur moindre discrétion.
Kettlewell fut donc engagé par Ford et éleva des milliers de chenilles de la Biston betularia qui donnèrent 3000 papillons. On les transporta dans un bois pollué et procéda en deux temps : d’abord, Kettlewell marqua les adultes avant de les relâcher sur une branche ou un tronc puis de les recapturer le soir avec une lanterne prévue à cet effet ; on décomptait alors le nombre d’individus de chaque variété. Ensuite, on déposa les insectes indifféremment sur des troncs de couleur variable et étudia à la jumelle leur capture par des oiseaux ; on en tira des statistique selon la couleur du papillon et la couleur du support végétal. En 1955, Kettlewell reconduit une expérience analogue dans un bois non pollué, aidé par Niko Tinbergen, photographe et cinéaste qui prouva de manière indiscutable que les oiseaux mangeaient les phalènes quand on les déposait sur des troncs. Les résultats furent donc indiscutables : en milieu pollué, on recapturait deux fois plus de phalène de forme carbonaria que de l’autre et en milieu rural, les formes claires récupérées étaient trois fois plus nombreuses que les formes sombres. Les quelques 200 observations à la jumelles confirmaient que les oiseaux mangeaient bel et bien les papillons foncés sur les troncs clairs et inversement pour les papillons clairs sur les troncs foncés. La conclusion était sans appel : les fréquences différentes des deux formes dans les deux milieux s’expliquent par une capacité différente de camouflage selon le milieu. La preuve était exhaustive, scientifique, photographique, même (une première du genre !) et fit office de référence pendant plus de 40 ans.
Deux hypothèses évolutionnistes furent alors proposées : en 1896, Tutt proposa l’idée selon laquelle les formes mélaniques risquaient moins de se faire manger par les oiseaux en zone polluée, les troncs d’arbre ayant perdu leur lichen et étant couvert de suie et, inversement, les formes classiques étaient plus discrètes en zone rurale ; c’est le schéma que reprendra exactement Kettlewell cinquante ans plus tard. Il sera pourtant recruté par Henry Ford, un scientifique anglais, qui proposa une hypothèse un peu différente, en deux temps : les formes sombres seraient plus résistantes à toutes sortes de stress environnementaux et seraient néanmoins plus susceptible d’être mangées par les oiseaux en zone non polluée, du fait de leur moindre discrétion.
Kettlewell fut donc engagé par Ford et éleva des milliers de chenilles de la Biston betularia qui donnèrent 3000 papillons. On les transporta dans un bois pollué et procéda en deux temps : d’abord, Kettlewell marqua les adultes avant de les relâcher sur une branche ou un tronc puis de les recapturer le soir avec une lanterne prévue à cet effet ; on décomptait alors le nombre d’individus de chaque variété. Ensuite, on déposa les insectes indifféremment sur des troncs de couleur variable et étudia à la jumelle leur capture par des oiseaux ; on en tira des statistique selon la couleur du papillon et la couleur du support végétal. En 1955, Kettlewell reconduit une expérience analogue dans un bois non pollué, aidé par Niko Tinbergen, photographe et cinéaste qui prouva de manière indiscutable que les oiseaux mangeaient les phalènes quand on les déposait sur des troncs. Les résultats furent donc indiscutables : en milieu pollué, on recapturait deux fois plus de phalène de forme carbonaria que de l’autre et en milieu rural, les formes claires récupérées étaient trois fois plus nombreuses que les formes sombres. Les quelques 200 observations à la jumelles confirmaient que les oiseaux mangeaient bel et bien les papillons foncés sur les troncs clairs et inversement pour les papillons clairs sur les troncs foncés. La conclusion était sans appel : les fréquences différentes des deux formes dans les deux milieux s’expliquent par une capacité différente de camouflage selon le milieu. La preuve était exhaustive, scientifique, photographique, même (une première du genre !) et fit office de référence pendant plus de 40 ans.
Seulement,
à partir de 1998, l’on commença à émettre des doutes quant à la façon dont
avait été menée l’expérience. Le problème le plus sérieux concerne la
libération des papillons : les insectes étaient libérés en plein jour,
alors qu’ils sont incapables de voler, qui plus est sur des troncs ou sur des
branches, bien visibles. Or, tous les spécialistes s’accordent à dire que les
papillons « naturels » ne se posent absolument jamais d’une telle
manière sur les arbres et que les oiseaux ne mangent pas les phalènes car ils
ne se posent justement pas en plein jour dans une telle position. Ensuite, l’on
observa des formes mélaniques de papillon dans diverses parties du monde, et notamment
des zones rurales non polluées ; de plus, l’évolution moderne de la
population de ces papillons – la régression de la forme mélanique – sans
changement nécessaire du milieu va à l’encontre de la théorie soutenue par
Kettlewell. Enfin, on s’étonne beaucoup de ce qui était représenté sur les
photographies de Kettlewell : les phalènes sont dans des positions très
inhabituelles, ailes ouvertes, à tel point qu’on se demande si les spécimens
n’étaient pas déjà morts ou sérieusement blessés.
L’expérience n’ayant jamais été refaite en entier, le plus bel outil pédagogique des évolutionnistes semble battre de l’aile et devenir « un mythe scientifique ». Cela ne signifie pas que Kettlewell a mené une supercherie, ou bâclé certains aspects de son expérience, au contraire, mais que les critères d’exigences devant une expérience scientifique varient selon les époques, que la façon de proposer une expérience scientifique influe toujours sur sa réception. Ici, l’utilisation inédite des photographies a sans doute beaucoup joué dans l’impact psychologique de l’expérience : les photographies montraient d’évidence, par le fait même, qu’un papillon sombre parfaitement confondu sur un tronc pollué n’était que trop visible sur un tronc plein de lichen ; si nous le voyons, les oiseaux aussi devaient le voir (analogie inconsciente sans doute bien loin de la réalité). Enfin, cela nous rappelle que toute expérience scientifique est redevable des théories qui la sous-tendent, ici le modèle d’hérédité mendélien.
L’expérience n’ayant jamais été refaite en entier, le plus bel outil pédagogique des évolutionnistes semble battre de l’aile et devenir « un mythe scientifique ». Cela ne signifie pas que Kettlewell a mené une supercherie, ou bâclé certains aspects de son expérience, au contraire, mais que les critères d’exigences devant une expérience scientifique varient selon les époques, que la façon de proposer une expérience scientifique influe toujours sur sa réception. Ici, l’utilisation inédite des photographies a sans doute beaucoup joué dans l’impact psychologique de l’expérience : les photographies montraient d’évidence, par le fait même, qu’un papillon sombre parfaitement confondu sur un tronc pollué n’était que trop visible sur un tronc plein de lichen ; si nous le voyons, les oiseaux aussi devaient le voir (analogie inconsciente sans doute bien loin de la réalité). Enfin, cela nous rappelle que toute expérience scientifique est redevable des théories qui la sous-tendent, ici le modèle d’hérédité mendélien.
Rappelons
qu’à l’impossible nul n’est tenu. Que la science n’est qu’un éternel
recommencement d’expériences, d’hypothèses, de confirmations et de réfutations,
de tâtonnements, enfin. Que la science
n’est pas Dieu.
[1] Voir l’article
très complet de Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9lection_naturelle
addendum 17/09/2011 : précision sur l'identité de Ford
Source : Jean Gayon, "Le papillon de Darwin", in Science et avenir, n°142, avril 2005
Deux commentaires me viennent à l'esprit à la lecture de cet article passionnant. Le premier c'est que le scientifique qui fait l'expérience est payé par Ford... Voilà une relation (originelle) entre la "science" darwinienne et l'industrie fort problématique et qui mérite réflexion.
RépondreSupprimerEnsuite le darwinisme est autant qu'une théorie, un mythe, un modèle qui a été très vite exporté vers d'autres sciences: économie, anthropologie, politique etc. dans lesquelles le principe fondamental de la CONCURRENCE (des espèces) a été érigé en dogme. Or rien n'est moins scientifique, ou pour le dire autrement, rien n'est plus idéologique que ce dogme de la lutte fondamentale de tous contre tous. La nature nous donne aussi mille exemples de coopérations pacifiques et fécondes inter-spécifiques et inter-individuelles - qu'on songe aux oiseaux qui mangent dans la gueules des crocodiles ou des micro-organismes que l'estomac de la vache ne digère pas et qui lui permettent de digérer l'herbe... L'intérêt a court terme de la vache comme du crocodile est de boulotter son hôte. Ni l'un ni l'autre ne le font.
Notre rapport intellectuel et philosophique au monde est aussi conditionné, comme on voit, par un réseau de métaphores et de modèles imaginaires qui le structurent "naturellement" et le conduisent à accepter sans discuter un certain nombre d'idées reçues qui sont en elles mêmes sans solidité scientifique.
Cher Docteur,
RépondreSupprimerje m'aperçois d'une imprécision dans mon article, que je vais corriger de ce pas : il ne s'agit pas, en fait, de Ford l'industriel, mais d'un scientifique anglais, ce qui n'invalide absolument pas votre remarque sur les relations entre la science et l'industrie.
Il aurait été intéressant d'aborder les débordements du Darwinisme que vous évoquez, plus particulièrement ce qu'on a appelé "le darwinisme social", mais qui ne doit pas être confondu avec le darwinisme de Darwin.
Au temps pour moi...
RépondreSupprimer