Pourquoi faut-il aller voir Histoire de Judas ? Parce qu'il y a du sublime dans cette histoire - ou plutôt : que cette histoire est le sublime, son incarnation même.
Entendons-nous bien : l'épopée biblique est propice au sublime - c'est peut-être son essence. Mais ne confondons pas, de grâce, sublime et grandiloquent ; il s'agit ici d'un sublime intime, apaisé, qui peut surgir d'un rire, ou du chuintement de la roche sous les pas d'un homme.
Il s'agit ici d'un cinéma à l'os, sans gras, débarrassé de toutes les scories grandiloquentes qui encombrent trop souvent le cinéma, et les épopées bibliques en particulier, bouffies et boursouflées (Les dix commandements de Cecil B. De Mille, La passion du Christ de Mel Gibson, etc.)
Il n'est question ici au contraire que de simplicité ; peu de personnages, peu de figurants ; Jérusalem est un village. Si ce film est intimiste, c'est qu'il n'est pas braillard ; et, finalement, de cette retenue naît un beauté presque mystique - jamais illuminée. Jésus Christ n'est pas un fou prêcheur possédé ; les juifs ne sont pas des imbéciles réactionnaires braillards contempteurs de Messie ; les romains ne sont pas des occupants assoiffés de sang.
Le réalisateur rejette le symbolique, la vision mythique ; aussi la Cène n'est-elle qu'un repas - rien d'autre - ; quant à la séquence de la femme adultère, elle est magnifique de simplicité - de détachement.
Le film tient plus de la chronique que de l'hagiographie, plus du récit intime que du peplum bruyant auquel on réduit trop souvent l'épopée biblique ; et si Judas n'est pas ici un traître, le film n'est pas un règlement de compte, n'a pas d'aspect polémique ; reste la beauté - l'investigation d'un espace sensible, ce à quoi devrait se résumer le cinéma.
Aussi l'Histoire de Judas n'est-elle pas l'histoire de l'incarnation divine dans l'Homme, mais de l'incarnation du sublime par et dans le cinématographe, dont toute la beauté est résumée par cette oeuvre, qui le transfigure et l'élève jusqu'au point de limpidité ultime.
Il ne devrait y avoir d'art que côtoyant le sublime et tentant de l'effleurer le plus possible ; il ne peut y avoir d'oeuvre qui ne palpiterait de la grâce sensuelle de la matérialité de l'espace sensible, qui ne vibrerait de toutes ses forces de chaque élément du monde et ne se donnerait pour but d'instruire le procès du trivial, qui ne proclamerait à chaque instant la nécessité de l'exaltation du sublime qui est partout, exaltation prenant la forme de l'apparente simplicité.
Le reste n'a aucune espèce d'importance.
mardi 21 avril 2015
vendredi 3 avril 2015
De la psychanalyse considérée comme un des Beaux-Arts
"Notre malade commence peu à peu à comprendre que c'est à titre de symbole génital féminin qu'elle ne supportait pas, pendant la nuit, la présence de la pendule dans sa chambre. La pendule, dont nous connaissons encore d'autres interprétations symboliques, assume ce rôle de symbole génital féminin à cause de la périodicité de son fonctionnement qui s'accomplit à des intervalles égaux. Une femme peut souvent se vanter en disant que ses menstrues s'accomplissent avec la régularité d'une pendule. Mais ce que notre malade craignait avant tout, c'était d'être troublée dans son sommeil par le tic-tac de la pendule. Ce tic-tac peut être considéré comme une représentation symbolique des battements du clitoris lors de l'excitation sexuelle. Elle était en effet souvent réveillée par cette sensation pénible, et c'est la crainte de l'érection qui lui avait fait écarter de son voisinage, pendant la nuit, toutes les pendules et montres en marche.
Pots à fleurs et vase sont, comme tous les récipients, également des symboles féminins. Aussi la crainte de les exposer pendant la nuit à tomber et se briser n'est-elle pas tout à fait dépourvue de sens. Vous connaissez tous cette coutume très répandue qui consiste à briser pendant les fiançailles, un vase ou une assiette. Chacun des assistants s'en approprie un fragment, ce que nous devons considérer, en nous plaçant du point de vue d'une organisation matrimoniale pré-monogamique, comme un renoncement aux droits que chacun pouvait ou croyait avoir sur la fiancée.
Brugel l'Ancien, La noce paysanne, 1568, 114 x 164 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne |
À cette partie de son cérémonial se rattachaient, chez notre jeune fille, un souvenir et plusieurs idées. Étant enfant, elle tomba, pendant qu'elle avait à la main un vase en verre ou en terre, et se fit au doigt une blessure qui saigna abondamment. Devenue jeune fille et ayant eu connaissance des faits se rattachant aux relations sexuelles, elle fut obsédée par la crainte angoissante de ne pas saigner pendant sa nuit de noces, ce qui ferait naître dans l'esprit de son mari des doutes quant à sa virginité. Ses précautions contre le bris des vases constituent donc une sorte de protestation contre tout le complexe en rapport avec la virginité et l'hémorragie consécutive aux premiers rapports sexuels, une protestation aussi bien contre la crainte de saigner que contre la crainte opposée, celle de ne pas saigner. Quant aux précautions contre le bruit, auxquelles elle subordonnait ces mesures, elles n'avaient rien, ou à peu près rien, à voir avec celles-ci."
(Sigmund Freud, Théorie générale des névroses, in Introduction à la psychanalyse, éd. Payot)
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