Natacha
Nisic, artiste vidéaste et documentariste française, présente du 15
octobre 2013 au 26 janvier 2014 différents projets dans son exposition
Echo, au Jeu de Paume à Paris.
Au
bout de la rampe d’accès qui mène à l’espace qui lui est consacré, on
peut déjà voir une douzaine de courtes vidéos montées en boucle :
l’artiste a filmé au Super 8 des mains de différentes personnes, âges et
sexes confondus, exécutant divers gestes triviaux (éplucher un fruit,
tricoter, dépouiller une fleur, se laver et s’essuyer, etc.). Le tout
projeté sur douze écrans télé de petit format, ramenant quasiment les
mains portraiturées à l’échelle 1.
La première salle est consacrée au projet en cours de l’artiste : Andrea en conversation. Il s’agit ici de neuf écrans de télévision haute définition, posés à même le sol et devant lesquels sont placés quelques coussins invitant les visiteurs à s’asseoir. Les écrans sont disposés de telle sorte que l’on ne puisse pas tous les embrasser d’un seul regard, mais il est possible selon l’angle d’en voir trois en même temps.
Dans
la seconde salle que divise une cimaise, on découvre deux projets sur
le Japon. Sur la gauche, un mur de trois écrans projette les vidéos
formant le film e (qui signifie image en
japonais), réalisées à la suite d’un tremblement de terre violent ayant
eu lieu à Fukushima en 2008. Elles sont composées de témoignages de
quelques habitants qui ont vécu la catastrophe, et de travellings de
paysages, d’images enregistrées depuis un avion, de zooms (sur le sol
particulièrement), qui en montrent les dégâts. Sur les trois écrans, les
images sont alternativement identiques et simultanées ou en décalage,
ou définitivement différentes les unes des autres. Seuls les sous-titres
sont identiques et synchrones.
f - 2013 Projection vidéo HD, couleur, son, 17 min 37 s |
Leur font face deux fresques dessinées, de silhouettes humaines
revêtues de tenues anti-radioactives. L'artiste dit, pour sa pièce Fukushima, avoir reporté aux crayons de couleur des photos de presse des ouvriers de la Centrale Tepco, ces futurs hibakushas.
Sur la droite, un large écran unique projette le film f,
tourné en 2013 à Hisanohama, ville côtière de la préfecture de
Fukushima, durement frappée par la triple catastrophe du 11 mars 2011.
Il s’agit d’un long travelling sur le paysage ponctué de temps en temps
par le contrechamp instantané offert par des miroirs soigneusement
disposés sur la trajectoire de la caméra. On peut ainsi voir le bord de
mer qui semblait normal, et simultanément les ruines de la ville à
l’arrière-plan, et vice-versa.
♦
Andrea en conversation
III. Les soins |
Les neuf vidéos de cette installation retracent partiellement le parcours d’une jeune allemande contemporaine, originaire de Bavière, Andrea Kalff, que diverses circonstances ont menée à se convertir au chamanisme coréen, mis en rapport avec des extraits de films d’archives du père Norbert Weber, datant de 1925 et tournés en Corée sous occupation japonaise.
L'histoire
Ce
fut par pur hasard que Andrea, jeune femme moderne de confession
catholique, mère de trois enfants, âgée alors d'une trentaine d'années,
fit la rencontre de Kim Keum-hwa. Celle-ci est grande chamane, élue
"trésor national" en Corée où elle est considérée comme une
bienfaitrice et la guérisseuse de tous les maux. Lors d'un colloque de
présentation du chamanisme coréen se tenant en Autriche, Kim Keum-hwa,
venue pour former de nouvelles recrues, repéra Andrea à qui elle
annonça qu'elle était atteinte de byeong, la maladie de la chamane (mudang en coréen). C'est-à-dire la maladie initiatique, qui révèle au chamanisme.
VII. Le pays du matin calme Film d'archive de Norbert Weber Photogramme (Une danse chamanique kut pour soigner un patient atteint de fièvre) |
Sceptique, la jeune femme ne prêta guère attention à ces propos qui lui parurent décousus et irrationnels. Mais deux semaines plus tard, elle apprit qu'elle était atteinte d'un cancer de l'utérus, à un stade assez avancé. Au lieu de choisir un traitement chimio ou radio-thérapeutique, elle se tourna vers le chamanisme, en contradiction avec son monde et son éducation catholique. Elle réalisa même un premier voyage en Corée pour être initiée à cette religion encore très vivante là-bas.
Elle
engagea ainsi un combat non seulement contre la maladie mais également
contre son passé, ses "fantômes", les traumatismes inavoués
jusqu'alors (un frère gravement blessé au cours d'un accident, resté
longtemps dans le coma, décédé depuis ; d'une incompréhension mutuelle
avec ses parents qui a conduit à la rupture de leurs liens ; des membres
de sa famille déjà atteints de cancers...). Dans une des interviews,
elle avoue avoir eu depuis son adolescence des moments de grande
faiblesse morale, que par la suite ses enfants arrivaient à ressentir
et extériorisaient eux-mêmes de manière assez inquiétante et troublante
; et entendre des voix qu'elle prenait pour des hallucinations.
Aujourd'hui ayant parfait sa formation de mudang
auprès de sa mère spirituelle Kim Keum-hwa, et réussi sa "confirmation"
lors d'une cérémonie rituelle, Andrea écoute ses voix intérieures et
celles de ses patients pour les soigner. C'est à son tour elle-même qui
forme de nouveaux chamans en Allemagne et en Autriche.
IX. La Confirmation Les lames ont été affûtées en secret. Andrea montera sur deux couteaux ainsi préparés, pieds nus. |
Le père Norbert Weber quant à lui, était un missionnaire du début du XXème siècle. En Corée, il tenta donc de répandre la religion catholique dans un pays où le chamanisme était encore tout à fait commun. Il assista à des cérémonies qu'il filma et dont il cacha les pellicules pour éviter la censure nippone.
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