La rareté des tirages
Irving Penn - Twisted Paper |
Les trois photographes les plus représentés – et, par
conséquent, sur lesquels nous avons le plus d’informations – dans cette foire
sont William Klein, Irving Penn et Daido Moriyama, avec une trentaine de
tirages relevés pour chacun ; nous avons cependant relativement peu
d’informations sur la majorité des autres photographes : pour certains
nous n’avons qu’une œuvre, la médiane des œuvres par artiste étant de 2 quand la moyenne est de 3,51. Sur les 727 artistes recensés, une petite
quarantaine concentre 25 % de la totalité des photographies.
Les données que nous avons pu recueillir sur les éditions ne sont que partielles : environ un millier de tirages ne porte pas de mention d’édition. L’édition minimale est bien évidemment l’édition unique, tandis que l’édition maximale est celle notée « édition illimitée[1] » (Evelyn Hofer, à la galerie m Bochum), ou bien l’édition à 69 exemplaires pour le « Twisted Paper » d’Irving Penn (à la galerie Pace/MacGill). Entre les deux extrêmes, la médiane est à 5 exemplaires, et la moyenne atteint presque 8 exemplaires. La majorité des tirages – du moins ceux pour lesquels nous possédons l’information – est donc limitée à 5 ou moins de 5 exemplaires, ce qui est assez peu ; la moyenne nous montre à l’évidence que la moitié au-dessus de 5 exemplaires comporte des tirages plus élevés que 5, mais le décalage n’est pas aussi fort qu’il pourrait l’être. Le tirage à 5 exemplaires, en plus d’être la médiane, est le tirage le plus utilisé par les photographes (395 occurrences), suivi par le tirage à 10 exemplaires (230 photographies) puis le tirage unique (197 tirages).
Les données que nous avons pu recueillir sur les éditions ne sont que partielles : environ un millier de tirages ne porte pas de mention d’édition. L’édition minimale est bien évidemment l’édition unique, tandis que l’édition maximale est celle notée « édition illimitée[1] » (Evelyn Hofer, à la galerie m Bochum), ou bien l’édition à 69 exemplaires pour le « Twisted Paper » d’Irving Penn (à la galerie Pace/MacGill). Entre les deux extrêmes, la médiane est à 5 exemplaires, et la moyenne atteint presque 8 exemplaires. La majorité des tirages – du moins ceux pour lesquels nous possédons l’information – est donc limitée à 5 ou moins de 5 exemplaires, ce qui est assez peu ; la moyenne nous montre à l’évidence que la moitié au-dessus de 5 exemplaires comporte des tirages plus élevés que 5, mais le décalage n’est pas aussi fort qu’il pourrait l’être. Le tirage à 5 exemplaires, en plus d’être la médiane, est le tirage le plus utilisé par les photographes (395 occurrences), suivi par le tirage à 10 exemplaires (230 photographies) puis le tirage unique (197 tirages).
Pour autant, il est possible que certains tirages comportent
les informations comme la signature ou l’édition, mais que les cartels ne les
mentionnent pas (le cas des signatures est particulièrement évocateur à ce
sujet) ; comme nous n’avons bien évidemment pas eu accès aux dos des
tirages, il nous a fallu introduire une subtilité dans nos relevés. Nous avons
observé que certaines galeries ne mentionnaient jamais sur leurs cartels
certaines informations, tandis que d’autres les mentionnent la plupart du
temps, à l’exception de quelques photographies. Dans ce dernier cas, il nous a
paru logique d’en déduire que les tirages concernés ne comportaient réellement
pas de mention de l’information[2],
tandis que dans le premier cas il était impossible de savoir, la galerie ayant
visiblement une politique d’ensemble à ce propos. Ce sont les tirages dont nous
pouvons déduire qu’ils ne comportent aucune information d’édition qui vont nous
intéresser à présent[3] :
avec 800 tirages sans inscription dans une galerie précisant l’édition,
l’absence d’édition est deux fois plus courante que le deuxième terme,
l’édition à 5, qui rassemble un peu moins de 400 tirages. Parmi ces tirages a priori sans indication, tous ne sont
pas identiques : au vu de l’histoire de la photographie, on comprend
parfaitement le fait que les tirages primitifs[4]
ne soient pas numérotés. D’après les données que nous possédons, on peut
retrouver des tirages uniques très tôt quand cette unicité est due à la
technique même (principalement le daguerréotype[5]
et le photogramme) ; on pourrait cependant dater la première limitation
consciente, ou du moins indépendante des contraintes techniques, de 1939, date
à laquelle Horst P. Horst limite à cinq exemplaires son tirage au platine
intitulé « Dali Costumes ». Pour autant, la limitation ne semble
l’emporter sur l’absence d’indication qu’à la fin des années 70 pour s’en
démarquer radicalement au cours des années 90 (en 2000, les tirages limités
représentent presque 90 % de la production totale).
Horst P. Horst - Dali Costumes |
Ce qui est réellement surprenant, c’est justement la persistance de la production de tirages non limités jusqu’après l’an 2000, moment où le marché des tirages photographiques (supposant a priori une limitation du tirage) est réellement arrivé à maturité. On peut même remarquer que le taux de tirages non limités se maintient, voire progresse certaines années (il représente ainsi un tiers des tirages de l’année 2006 et 16 % des tirages en 2007). L’explication chronologique n’étant plus suffisante, il nous faut avoir recours aux méthodes sociologiques et l’analyse des milieux dans lesquels les photographes évoluent peut en partie expliquer la persistance de la non-limitation aussi longtemps : on sait notamment que les photographes reporters de l’après-guerre, refusant de considérer leur production comme de l’art, ont toujours refusé de numéroter leurs tirages, comme l’exemplifie parfaitement l’archétype Henri Cartier-Bresson.
Cette explication semble fournir une explication convenable pour les décennies d’après-guerre (on retrouve notamment entre 1944 et 2000 des tirages non limités de l’armée américaine, d’Eugene Smith, de Jacques-Henri Lartigue, Lisette Model, Izis, Brassaï, Harry Callahan, Édouard Boubat, William Klein, Otto Steinert, Louis Stettner, Josef Koudelka, Joel Meyerowitz, et plus récemment Martin Parr, Helen Levitt, Sebastiao Salgado, tous issus d’une tradition plus ou moins assumée du photojournalisme[6])… Ces tirages n’atteignent d’ailleurs pas des sommets de prix, plus de la moitié restant en dessous des 10 000 $ et ne semblent dépasser ce cap qu’au prix d’une très grande célébrité ou d’une rareté effective (comme c’est le cas par exemple du tirage de Francesca Woodman « Patterns » qui atteint 58 850 $).
Francesca Woodman - Patterns |
Il est cependant plus difficile de rendre compte de l’absence de limitation pour les années 2000, les tirages ne semblant pas avoir d’autre but que le marché de l’art et les photographes ne pouvant ignorer les règles du marché de l’art. Ne profitant pas de la possible raréfaction par le temps et étant le produit d’artistes pour la plupart encore jeunes et peu reconnus, la moyenne de prix de ces tirages est assez basse, autour de 5 000 $. Cette position peut toujours être une position éthique ou politique de refus de la limitation dans la lignée des photographes dont nous parlions plus haut ou des artistes conceptuels qui virent dans la photographie l’outil de la destruction de l’œuvre d’art, ce qui semble être le cas d’Evelyn Hofer (Galerie m Bochum) qui indique sur ses tirages « édition illimitée » depuis 1964 jusqu’à la période récente ; mais la question persiste : pourquoi tant de photographes ont-ils fait le choix de ne rien indiquer plutôt que d’imiter Evelyn Hofer[7] ?
Evelyn Hofer - The Cops, New York |
Cette question nous pousse à nous demander en effet qui sont
véritablement les artistes derrière ces pratiques, et quels sont précisément
leurs usages de l’édition. On remarque dans un premier temps que l’immense
majorité des artistes – du moins dans les limites de notre corpus – n’utilise
qu’une seule édition pour toutes les images présentées à Paris Photo : 74
artistes utilisent plus d’une édition contre presque le double (144) qui n’en
utilisent qu’une seule quand on observe les artistes qui ont présenté 4 œuvres
et plus[8] ;
44 photographes ont utilisé deux éditions (dans lesquelles, bien souvent nous
avons compté l’absence d’édition), 19 en ont présenté trois différentes puis
seuls 11 artistes plus de trois (parmi lesquels le cas d’Irving Penn – 18
éditions différentes pour 32 tirages – vaut la peine d’être souligné).
Pour étudier les usages de la limitation restreinte, nous avons choisi de nous focaliser sur les 32 artistes que nous avons référencés qui utilisent le tirage unique et qui ont montré plus de 3 photographies à Paris Photo, le cas du tirage unique étant un exemple paradigmatique de la limitation. Une fois de plus, plus de la moitié de ces photographes (18) pratique seulement l’édition unique et 8 photographes utilisent deux éditions, les 6 photographes restants utilisant 4, 5, 6 ou 8 éditions différentes dans le cas d’Herb Ritts. Si ces chiffres sont importants et semblent souligner le fait que les photographes pratiquants l’édition unique tendent à n’utiliser que celle-là, il faut mettre en relation ces chiffres avec ceux que nous avons mentionnés plus haut pour nous rendre compte – tout en assumant la marge d’erreur qu’induit inévitablement notre étude restreinte – que cette tendance reflète celle de tous les photographes, qu’ils produisent ou non des tirages uniques (voire plutôt plus s’ils ne l’utilisent pas, semble-t-il).
La moyenne du nombre de tirages proposés de chaque artiste varie légèrement selon qu’il s’agisse d’artiste pratiquant le tirage unique (5,5 photographies par artiste en moyenne) ou d’autres photographes (3,5), mais cet écart est trop faible, notre étude trop restreinte pour que cela puisse être réellement significatif et instructif. La sélection des photographies proposées dépend ensuite beaucoup trop des galeristes pour que nous puissions en inférer une quelconque intention compensatoire de la part des artistes (quoique l’on pourrait aussi arguer du fait que les galeristes eux aussi ont un manque à gagner sur les tirages uniques et qu’ils pourraient pousser les artistes en produisant à en produire plus comparativement aux artistes produisant des multiples).
Pour étudier les usages de la limitation restreinte, nous avons choisi de nous focaliser sur les 32 artistes que nous avons référencés qui utilisent le tirage unique et qui ont montré plus de 3 photographies à Paris Photo, le cas du tirage unique étant un exemple paradigmatique de la limitation. Une fois de plus, plus de la moitié de ces photographes (18) pratique seulement l’édition unique et 8 photographes utilisent deux éditions, les 6 photographes restants utilisant 4, 5, 6 ou 8 éditions différentes dans le cas d’Herb Ritts. Si ces chiffres sont importants et semblent souligner le fait que les photographes pratiquants l’édition unique tendent à n’utiliser que celle-là, il faut mettre en relation ces chiffres avec ceux que nous avons mentionnés plus haut pour nous rendre compte – tout en assumant la marge d’erreur qu’induit inévitablement notre étude restreinte – que cette tendance reflète celle de tous les photographes, qu’ils produisent ou non des tirages uniques (voire plutôt plus s’ils ne l’utilisent pas, semble-t-il).
La moyenne du nombre de tirages proposés de chaque artiste varie légèrement selon qu’il s’agisse d’artiste pratiquant le tirage unique (5,5 photographies par artiste en moyenne) ou d’autres photographes (3,5), mais cet écart est trop faible, notre étude trop restreinte pour que cela puisse être réellement significatif et instructif. La sélection des photographies proposées dépend ensuite beaucoup trop des galeristes pour que nous puissions en inférer une quelconque intention compensatoire de la part des artistes (quoique l’on pourrait aussi arguer du fait que les galeristes eux aussi ont un manque à gagner sur les tirages uniques et qu’ils pourraient pousser les artistes en produisant à en produire plus comparativement aux artistes produisant des multiples).
George Tony Stoll - Les activistes |
Quel est-il, d’ailleurs, le rôle des galeries dans ce choix
d’édition ? Il est évidemment assez difficile de le dire à partir des
simples cartels, mais nous pouvons malgré tout faire quelques remarques. Nos
calculs nous indiquent que trois galeries ne présentent aucune variation dans
l’édition des photographies qu’elles proposent ; il s’agit en fait pour
deux d’entre elles (la Galerie Jérôme Poggi et la Galerie Magda Danysz) d’un
seul artiste présenté – George Tony Stoll (éditions de 5) pour la première et Feng
Fangyu (éditions de 10) pour la seconde –, mais la Galerie Von Lintel se
démarque en ne proposant que des tirages uniques de deux artistes différents
(John Chiara et Marco Breuer). Si la stabilité des deux premières galeries
s’explique par la stabilité d’un seul artiste (artistes dont nous avons
souligné plus haut la grande stabilité dans l’édition), la Galerie Von Lintel
semble avoir fait des choix clairs à propos de l’édition des tirages qu’elle
propose, et le fait que ce soit le tirage unique n’est pas indifférent. De
même, la galerie Christophe Guye ou la galerie Hussenot ne présentent que des
éditions à 5, 6 ou 7 exemplaires, la plupart du temps accompagnés de deux
épreuves d’artistes. À l’inverse, la galerie Pace/Mac Gill peut vendre des
tirages sans aucune indication, des tirages uniques aussi bien que des tirages
à 17 ou à 69 exemplaires (encore Irving Penn) ; ce qui nous amène à dire
que certaines galeries, que ce soit du fait d’une politique délibérée et
verbalisée ou bien d’une coïncidence ou encore d’une mode découlant de la
fréquentation des artistes d’une même galerie, donnent à voir une grande
harmonie dans le choix de l’édition des tirages qu’ils vendent, tandis que
d’autres n’y attachent que peu d’importance, et que ces dernières semblent plus
nombreuses.
[1]
L’édition illimitée n’est jamais réellement illimitée, il serait intéressant de
savoir combien de tirages existent déjà (tirages dont on imagine qu’ils sont produits
à la demande), mais tel n’est pas notre propos ici.
[2]
Pour quelle autre raison, sinon, une galerie déciderait-elle de ne pas
mentionner la signature d’un photographe ou les choix d’édition qu’il a
faits ?
[3]
Certaines photographies portent l’indication « Édition :
vintage ». Le vintage est là
pour rassurer l’acheteur sur l’authenticité et la rareté du tirage qu’il achète
sans pour autant prendre trop de risque. Cette indication étant trop vague et
imprécise, nous ne l’avons pas prise en compte pour les analyses suivantes.
[4]
D’un point de vue historique, nos données s’organisent comme suit : 126
tirages de 1839 à 1900 ; 300 tirages de 1905 à 1945 ; 469 jusqu’à
1970 ; 367 pour les années 70 et 80 ; 547 pour les deux décennies
suivantes ; l’année 2010 représente 133 tirages, l’année 2011 152 et
l’année 2012 384 à elle seule. On remarque à l’évidence que cette foire
photographique, si elle n’est pas tout à fait démunie de tirages historiques
(qui sont le plus souvent isolés dans des galeries spécialisées), se tourne
radicalement vers la période la plus actuelle. À elles seules, les 12 dernières
années représentent presque 50 % des tirages.
[5]
Le cas du daguerréotype nous permet de dire que le tirage unique est la source
même de la photographie.
[6]
Ces noms ne représentent que les photographes les plus connus de la liste.
Cependant, la présence de certains photographes, comme Irving Penn, ou de
certains procédés, comme le tirage platine, nous rappellent que cette piste
n’est pas parfaite et que nous ne parlons que des photographies qui n’éditent
pas leurs tirages ou que nous supposons qu’ils n’éditent pas – ce dont on peut
raisonnablement douter par exemple dans le cas précis des platines de Penn.
[7]
Une image de Martin Parr possède l’indication « Open edition ». Il
semble que cela soit un synonyme d’édition illimitée, mais l’énoncé est trop
vague pour que nous en soyons sûr.
[8]
Pour des raisons évidentes, nous avons ici sorti de nos calculs les artistes
ayant présenté une seule photographie. Nous avons aussi sorti les photographes
ne présentant que 2 ou 3 tirages, de façon arbitraire, pour limiter l’impact du
hasard sur les chiffres suivants.
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire