Cet article condense la pensée exprimée par Dominique Sagot-Duvauroux dans l'ouvrage collectif "Photographie contemporaine et art contemporain".
Ce que l’on désigne par marché de la photographie est plus précisément un marché de tirages, qui hérite logiquement ses codes et ses règles du marché de l’art contemporain. Dans ce système, la rareté joue un rôle essentiel, la rareté - jusqu'à l’unicité du chef-d’œuvre - étant un absolu ; les autres présentations de photographies, le livre, l’affiche, l’image numérique, ne sont que rarement évoquées dans les cercles du marché de l’art, et sinon considérées comme un pis-aller.
Et pourtant, étant difficilement assimilable à un objet rare pour une multitude de raisons, la photographie contemporaine participe à une redéfinition de l’art (notamment dans la théorie d’Yves Michaud de l’art à l’état gazeux). A ne considérer la photographie d’art que selon les critères de l’art traditionnel, ne risque-t-on pas de se couper de ce qui fait la vivacité et la particularité de la photographie ?
Ce que l’on désigne par marché de la photographie est plus précisément un marché de tirages, qui hérite logiquement ses codes et ses règles du marché de l’art contemporain. Dans ce système, la rareté joue un rôle essentiel, la rareté - jusqu'à l’unicité du chef-d’œuvre - étant un absolu ; les autres présentations de photographies, le livre, l’affiche, l’image numérique, ne sont que rarement évoquées dans les cercles du marché de l’art, et sinon considérées comme un pis-aller.
Et pourtant, étant difficilement assimilable à un objet rare pour une multitude de raisons, la photographie contemporaine participe à une redéfinition de l’art (notamment dans la théorie d’Yves Michaud de l’art à l’état gazeux). A ne considérer la photographie d’art que selon les critères de l’art traditionnel, ne risque-t-on pas de se couper de ce qui fait la vivacité et la particularité de la photographie ?
En règle générale, on ne peut échanger des produits sur un marché qu’à
condition d’avoir les mêmes critères de jugement, les mêmes codes d’échange, de
vente ou d’achat de part et d'autre. C’est ce qu’on appelle les conventions qui, une fois partagées
par un monde commun, rendent viable l’établissement d’un marché. Jusqu’au
XIXème siècle, on peut discerner deux conventions : la convention
artisanale qui indexe la valeur de l’œuvre sur le coût de revient de l’objet
que le producteur majorera selon sa notoriété plus ou moins grande ; la
convention académique qui ancre la valeur de l’œuvre sur le sujet qui est traité.
Dans les deux cas, la valeur était extrinsèque au marché mais le triomphe du libéralisme, l’idéologie romantique ainsi que l’innovation photographique (entre autres) rendent ces conventions fragiles et obsolètes. L’art doit s’inventer de nouvelles règles pour fixer les valeurs qui le régiront : l’innovation devient un des piliers du nouveau système, ainsi que la rareté et l’authenticité. Ces trois caractéristiques se construisent notamment sur une connaissance de l’artiste, qui n’était pas nécessaire auparavant pour juger de l’œuvre, et forment ce que l’auteur a nommé avec N. Moureau « la convention d’originalité ».
Soixante ans plus tard, cette convention est largement acceptée par le monde de l’art contemporain, convaincant le milieu par un des seuls critères qui permettent de juger lesdites conventions : leur viabilité économique, c’est-à-dire leur capacité à faire vivre les différents acteurs de l’art.
Il faut observer le rôle de la photographie dans cette mutation majeure de l’art au tournant du XIXème siècle(1) : alors que la photographie fait une concurrence acharnée à la peinture académique, au portrait et à de nombreuses autres activités qui permettaient aux artistes de subsister, la peinture se repositionne sur des caractéristiques qui lui appartiennent en propre et qui semblent exclure la photographie (ce qui est typique, d’ailleurs, du mouvement moderniste), et recentre son public sur des milieux plus aisés qui ne recherchent pas le faible coût et la rentabilité de la photographie. De là aussi les réactions si vives qui éclatèrent pour refuser au médium une dimension artistique : la liberté du peintre et l’unicité des toiles tendent à transformer des faiblesses (coûts élevés, temps de production…) en force. La dimension supposée artisanale de la peinture s’oppose à la photographie, issue du monde industriel.
Dans les deux cas, la valeur était extrinsèque au marché mais le triomphe du libéralisme, l’idéologie romantique ainsi que l’innovation photographique (entre autres) rendent ces conventions fragiles et obsolètes. L’art doit s’inventer de nouvelles règles pour fixer les valeurs qui le régiront : l’innovation devient un des piliers du nouveau système, ainsi que la rareté et l’authenticité. Ces trois caractéristiques se construisent notamment sur une connaissance de l’artiste, qui n’était pas nécessaire auparavant pour juger de l’œuvre, et forment ce que l’auteur a nommé avec N. Moureau « la convention d’originalité ».
Soixante ans plus tard, cette convention est largement acceptée par le monde de l’art contemporain, convaincant le milieu par un des seuls critères qui permettent de juger lesdites conventions : leur viabilité économique, c’est-à-dire leur capacité à faire vivre les différents acteurs de l’art.
Il faut observer le rôle de la photographie dans cette mutation majeure de l’art au tournant du XIXème siècle(1) : alors que la photographie fait une concurrence acharnée à la peinture académique, au portrait et à de nombreuses autres activités qui permettaient aux artistes de subsister, la peinture se repositionne sur des caractéristiques qui lui appartiennent en propre et qui semblent exclure la photographie (ce qui est typique, d’ailleurs, du mouvement moderniste), et recentre son public sur des milieux plus aisés qui ne recherchent pas le faible coût et la rentabilité de la photographie. De là aussi les réactions si vives qui éclatèrent pour refuser au médium une dimension artistique : la liberté du peintre et l’unicité des toiles tendent à transformer des faiblesses (coûts élevés, temps de production…) en force. La dimension supposée artisanale de la peinture s’oppose à la photographie, issue du monde industriel.
Pourtant, on ne peut que constater aujourd’hui l’émergence
d’un marché artistique photographique(2) :
d’abord par le processus bien connu de l’utilisation de la photographie par les
artistes plasticiens à partir des années 60
parce qu’étant un outil supposé neutre, sans qualité, éphémère, sans valeur.
La stylisation des photographes-auteurs fait débuter en sens inverse un
mouvement d’émancipation de la photographie de ses marchés traditionnels qui
commencent à s’amenuiser suite à l’arrivée de la télévision notamment. D’autres
photographes s’émancipent complètement du réel pour créer avec la liberté du
peintre ; peu à peu le tirage revient au centre des préoccupations. De
toutes ces dynamiques, il faut noter qu’elles sont toutes guidées par des
stratégies de différentiation : différentiation de l’art traditionnel de
la part des plasticiens, différentiation du marché domestique et du marché de
la presse (le marché professionnel) de la part des photographes voulant
atteindre le marché de l’art.
Un bon nombre d’acteurs va ensuite travailler à construire le marché : les historiens, commissaires, collectionneurs primitifs qui construisent petit à petit une histoire de la photographie, des critères esthétiques et qui « réduisent l’incertitude sur la qualité des images proposées ». Avec le travail conjoint des privés, des institutions(3) et des galeries, le marché de la photographie se structure et se diversifie, s’organise et intègre ainsi les réseaux de diffusion propres au marché de l’art : les galeries, les foires, les enchères qui servent à rassurer les acteurs du marché en réduisant l’incertitude sur la qualité des œuvres. Notons aussi au passage qu’à mesure que ce marché se développait, une certaine critique systématique du tirage et du vintage faiblissait dans les rangs des intellectuels de la photographie.
Un bon nombre d’acteurs va ensuite travailler à construire le marché : les historiens, commissaires, collectionneurs primitifs qui construisent petit à petit une histoire de la photographie, des critères esthétiques et qui « réduisent l’incertitude sur la qualité des images proposées ». Avec le travail conjoint des privés, des institutions(3) et des galeries, le marché de la photographie se structure et se diversifie, s’organise et intègre ainsi les réseaux de diffusion propres au marché de l’art : les galeries, les foires, les enchères qui servent à rassurer les acteurs du marché en réduisant l’incertitude sur la qualité des œuvres. Notons aussi au passage qu’à mesure que ce marché se développait, une certaine critique systématique du tirage et du vintage faiblissait dans les rangs des intellectuels de la photographie.
Par-delà ce constat, il nous faut nous demander si la
convention d’originalité est applicable telle quelle à la photographie, ou si
la photographie travaille à redéfinir une nouvelle convention comme nous
l’évoquions plus haut. Le premier principe de l’originalité est la
nouveauté ; or, la nouveauté ne peut s’estimer qu’à partir d’une histoire,
d’un passé référent auquel on ne doit pas ressembler. A ce niveau, la
photographie est riche de l’histoire de l’art dans lequel elle s’est pleinement
insérée, mais aussi de l’histoire de la photographie, qui est aujourd’hui
solidement bâtie. De plus en plus, ces deux histoires ont tendance à être deux
sources complémentaire pour les photographes qui s’enrichissent l’une l’autre,
même si les références à l’histoire de l’art restent dominantes. Mais la
nouveauté s’estime aussi à l’aune de l’avenir : savoir si un artiste aura
ou non une descendance, s’il inspire d’autres mouvements et d’autres artistes.
C’est tout le travail des critiques, des historiens, des galeries, de définir
une histoire, des innovations, des héritages.
Le critère de rareté semble plus difficile à faire respecter en photographie, du fait même que la photographie fournit une matrice à partir de laquelle on peut réaliser plusieurs originaux qui ne conviennent évidemment pas à un marché qui s’est construit sur la valorisation de la rareté. C’est la raison pour laquelle le discours critique s’est bâti des notions utiles pour distinguer plusieurs situations. On dissocie ainsi le vintage, le tirage original, le retirage et le contretype selon la période où ils ont été tirés. On peut aussi séparer plusieurs tirages identiques par leur but : l’épreuve de lecture ne se confond pas avec les tirages de presse qui ne se confondent pas eux-mêmes du tirage définitif. De même, la signature et la numérotation sont des règles qui apparaissent nécessaires dans le marché de la photographie contemporaine ; on note pourtant une majorité d’usages peu scrupuleux de la numérotation, les artistes s’émancipant du texte de loi et associant un numérotage à un format donné.
Il est intéressant de rappeler à ce sujet que, lorsque le marché de la photographie s’est réellement construit, dans les années 60-70, la pratique dominante était le retirage à la demande ; ce n’est qu’après le chute des prix au début des années 80 qui a incité les photographes – par le biais de leurs galeristes – à être plus vigilants et à valoriser le vintage. Les ventes s’accompagnent désormais d’informations précises sur le tirage, et la règle de la rareté est intégrée et diffusée à tous les niveaux du marché photographique.
Mais la question que pose véritablement la prolifération des originaux est le problème des faux et des tirages authentiques. Qu’est-ce qu’un tirage authentique en photographie, quand de nombreux acteurs participent à l’histoire d’un tirage ? Celui qui prend le cliché, d’abord ; celui qui tire la photographie, ensuite ; et enfin celui qui donnera au tirage l’usage précis qu’il veut en faire (tirage autonome, document, partie d’un assemblage…). Quoiqu’il en soit, la définition d’un original en photographie ne peut pas être simple, c’est ce qui en fait une discipline particulièrement intéressante qui bouscule nécessairement, même quand elle essaie de s’y soumettre, les conventions de l’art contemporain.
Le critère de rareté semble plus difficile à faire respecter en photographie, du fait même que la photographie fournit une matrice à partir de laquelle on peut réaliser plusieurs originaux qui ne conviennent évidemment pas à un marché qui s’est construit sur la valorisation de la rareté. C’est la raison pour laquelle le discours critique s’est bâti des notions utiles pour distinguer plusieurs situations. On dissocie ainsi le vintage, le tirage original, le retirage et le contretype selon la période où ils ont été tirés. On peut aussi séparer plusieurs tirages identiques par leur but : l’épreuve de lecture ne se confond pas avec les tirages de presse qui ne se confondent pas eux-mêmes du tirage définitif. De même, la signature et la numérotation sont des règles qui apparaissent nécessaires dans le marché de la photographie contemporaine ; on note pourtant une majorité d’usages peu scrupuleux de la numérotation, les artistes s’émancipant du texte de loi et associant un numérotage à un format donné.
Il est intéressant de rappeler à ce sujet que, lorsque le marché de la photographie s’est réellement construit, dans les années 60-70, la pratique dominante était le retirage à la demande ; ce n’est qu’après le chute des prix au début des années 80 qui a incité les photographes – par le biais de leurs galeristes – à être plus vigilants et à valoriser le vintage. Les ventes s’accompagnent désormais d’informations précises sur le tirage, et la règle de la rareté est intégrée et diffusée à tous les niveaux du marché photographique.
Mais la question que pose véritablement la prolifération des originaux est le problème des faux et des tirages authentiques. Qu’est-ce qu’un tirage authentique en photographie, quand de nombreux acteurs participent à l’histoire d’un tirage ? Celui qui prend le cliché, d’abord ; celui qui tire la photographie, ensuite ; et enfin celui qui donnera au tirage l’usage précis qu’il veut en faire (tirage autonome, document, partie d’un assemblage…). Quoiqu’il en soit, la définition d’un original en photographie ne peut pas être simple, c’est ce qui en fait une discipline particulièrement intéressante qui bouscule nécessairement, même quand elle essaie de s’y soumettre, les conventions de l’art contemporain.
Il ne faut pourtant pas perdre à l’esprit que la
photographie est forte d’une multitude de supports, qu’aucun n’est plus valable
qu’un autre dans l’absolu, que si leur valeur financière diminue en fonction de
leur statut, leur valeur esthétique peut être tout aussi forte. Le prestige du
marché de l’art risque peut-être de réduire les autres débouchés, et d’orienter
la photographie vers un élitisme fétichiste. Il faut prier pour que le marché
de la photographie contemporaine ne se dissolve pas dans celui de l’art
contemporain.
[1]
A l’inverse, l’auteur propose d’analyser le rôle d’un marché de la peinture qui
s’essouffle dans l’épanouissement du marché des tirages photographiques,
offrant ainsi une voie de différenciation idéale.
[2]
Le marché, note-t-il dans l’article d’Etudes
Photographiques, est passé de 5 millions de dollars en 1980 à 144 millions
en 2006.
[3]
Le rôle du législateur est à considérer aussi : voir le décret n°91-1326
du 23 décembre 1991
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